« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Mme Louise et Mme du Deffand

Témoigage de Mme du Deffand

Mme Louise, fille de Louis XV   Le samedi 14 avril 1770, Mme du Deffand fait part à Horace Walpole de l’entrée au couvent d’une des filles de Louis XV, Madame Louise (1) :

   « … Le grand événement d’aujourd’hui est la retraite de Madame Louise. IL y avait dix-huit ans qu’elle voulait être religieuse, dix qu’elle s’était déterminée à être carmélite ; elle n’avait dans sa confiance que le roi et l’archevêque qui combattaient son dessein. Apparemment qu’après qu’elle les y eut fait consentir, elle détermina le jour avec eux ; ce fut le mercredi saint. La veille, le roi dit à M. de Croismare, écuyer, d’aller prendre les ordres de Madame Louise et qu’on eût à obéir à tout ce qu’elle ordonnerait. Elle demanda un carrosse pour le lendemain, sept heures du matin, sans gardes du corps, sans pages ; elle ordonna à madame de Ghistel, l’une de ses dames, d’être à sept heures chez elle tout habillée. Elle ne dit rien à ses deux sœurs, qui n’avaient pas le moindre soupçon de sa résolution. Le mercredi, elle monta dans son carrosse à sept heures précises ; elle changea de relais à Sèvres et dit : À Saint-Denis. Entrant à Saint-Denis elle dit : Aux Carmélites. La porte ouverte, elle embrassa madame de Ghistel : Adieu, madame, lui dit-elle, nous ne nous reverrons jamais. Elle lui donna une lettre pour le roi et une pour ses sœurs ; elle n’avait pas apporté une chemise ni un bonnet de nuit. Elle devait prendre le voile blanc en arrivant. Le jeudi, on lui apporta des nippes dont elle ne prit que deux chemises et une camisole ; elle se fait appeler la sœur Thérèse-Augustin. C’est ainsi qu’elle signe la seconde lettre qu’elle a écrite au roi, avec la permission de notre révérende mère. Elle le supplie de vouloir bien payer douze mille francs pour sa dot. C’est le double des dots ordinaires, mais ce que payent pourtant les personnes contrefaites (2), qui sont plus délicates et peuvent avoir besoin de quelques douceurs ; elle lui demande aussi de continuer ses pensions jusqu’à sa profession, pour avoir le moyen de faire quelque gratification à ceux et à celles qui l’ont servie.  Cela ne vous fait-il pas pitié ? Notre espèce est étrange ! Quand on n’est pas malheureux ni par les passions ni par la fortune, on se le rend par des chimères… »

   Le jour de Pâques, elle poursuit ainsi :

   « Il n’y avait que deux mois que le roi était au fait des projets de Madame Louise ; elle avait laissé faire tous ses habits pour les fêtes du mariage (3) ; elle n’a point pris le voile blanc ; ce ne sera que dans six mois. Cette aventure n’a pas fait une grande sensation ; on hausse les épaules, on plaint la faiblesse d’esprit et l’on parle d’autre chose… ».

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Notes

(1) Il s’agit de la troisième fille du roi, alors âgée de 33 ans. Selon les rumeurs elle voulut entrer en religion afin de sauver l’âme de son père. Elle mourut en 1787, devenue supérieure du couvent.

(2) Madame Louise est bossue.   

(3) Le mariage de la dauphine Marie-Antoinette et du futur Louis XVI.

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Témoignage de Mme Campan

Mme Campan dans sa jeunesse(Joseph Boze)   Madame Campan, lectrice de Mesdames, filles de Louis XV (et plus tard première femme de chambre de Marie-Antoinette), auteur de Mémoires, témoigne des derniers jours de Madame Louise (1) à Versailles, avant sa prise d’habit de Carmélite au couvent de Saint-Denis :

   « Depuis plusieurs années, Madame Louise vivait très retirée ; je lui faisais la lecture cinq heures par jour ; souvent ma voix se ressentait des fatigues de ma poitrine ; la princesse me préparait de l’eau sucrée, la plaçait auprès de moi et s’excusait de me faire lire si longtemps sur la nécessité d‘achever un cours de lecture qu’elle s’était prescrit. Un soir, pendant que je lisais, on vint lui dire que M. Bertin, ministre des parties casuelles, demandait à lui parler ; elle sortit précipitamment, revint, reprit ses soies, sa broderie, me fit reprendre mon livre et, quand je me retirai, elle m’ordonna d’être, le lendemain à onze heures du matin, dans son cabinet. Quand j’arrivai, la princesse était partie, j’appris que le matin à sept heures elle s’était rendue au couvent des carmélites de Saint-Denis où elle voulait prendre le voile ; je me rendis chez Madame Victoire. Là j’appris que le roi seul avait connu le projet de Madame Louise, qu’il en avait fidèlement gardé le secret, et qu’après s’être longtemps opposé à son désir, il lui avait envoyé la veille seulement son consentement ; qu’elle était entrée seule dans le couvent où elle était attendue ; que quelques instants après elle avait reparu à la grille, pour montrer à la princesse de Guistel, qui l’avait accompagnée, et à son écuyer, l’ordre du roi de la laisser dans le monastère.

   Aussitôt que j’en eus obtenu la permission, je fus à Saint-Denis voir mon auguste et sainte maîtresse ; elle voulut bien me recevoir à visage découvert dans son parloir particulier, elle me dit qu’elle venait de quitter la buanderie, qu’elle était chargée ce jour-là de couler la lessive. « J’ai beaucoup abusé de vos jeunes poumons, deux ans avant d’exécuter mon projet, ajouta-t-elle ; je savais que je ne pourrais plus lire ici que des livres destinés à notre salut, et je voulais repasser tous les historiens qui m’avaient intéressée. » Elle me raconta qu’on lui avait apporté l’agrément du roi pour se rendre à Saint-Denis pendant que lui faisais la lecture ; elle se flattait avec raison d’être rentrée dans son cabinet sans la moindre marque d’agitation quoiqu’elle en éprouvât une si vive, me dit-elle, qu’elle avait de la peine à se rendre jusqu’à son fauteuil. Elle ajouta que les moralistes avaient raison lorsqu’ils disaient que le bonheur n’habite point dans les palais. »

   Mme Campan juge ainsi la prise de voile de Madame Louise : « On attribue la vocation de la princesse à différents motifs. [...] Je crois en avoir pénétré la véritable cause. Son âme était élevée, elle aimait les grandes choses ; il lui était souvent arrivé d’interrompre ma lecture pour s‘écrier : « Voilà qui est beau, voilà qui est noble ! » Elle ne pouvait faire qu’une seule action d’éclat : quitter un palais pour une cellule, de riches vêtements pour une robe de bure. Elle l’a faite. » Louis XVI lui apprend sa mort le 23 décembre 1787 et rapporte ses dernières paroles : « Au Paradis, vite, vite au grand galop ! » Henriette Campan ajoute : « Sans doute qu’elle croyait encore donner des ordres à son écuyer. »  

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Notes

(1) Mme Louise est la préférée de Mme Campan.

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Date de dernière mise à jour : 20/11/2017