« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

La légende d'Iphigénie

Textes

Iphigénie (Racine)   On peut étudier / voir/ écouter :

* Iphigénie à Aulis, Iphigénie en Tauride : Euripide

* Métamorphoses XII : Ovide

* Iphigénie en Aulide et Iphigénie en Tauride : Glück, opéras, 1773 et 1778 

* Iphigénie en Tauride : Goethe, 1787

* Iphigénie : Michel Cacoyannis, film, 1977

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L’Iphigénie de Glück

   Pour Euripide, les Barbares restent des Barbares : il est permis de les duper ou de leur faire violence ; pour les Grecs, c’est un droit. Oreste est le sauveur et Iphigénie ne peut lui venir en aide qu’en trompant le roi des Barbares par des mensonges et des prières à double sens. Les Deus ex machina, omniprésent sur la scène antique, intervient à la fin, exécutant le sauvetage par une décision absolue des dieux. L’opéra de Glück a le même dénouement et il est incomparablement plus dramatique par le livret qu’un jeune poète avait écrit par enthousiasme pour le compositeur et non sur commande comme il était alors d’usage ; à plus forte raison par la musique et la force scénique que lui donna Glück, ce grand connaisseur de théâtre. Effets dont l’œuvre de Goethe était dépourvue, ce que Schiller lui reprochait. Chez Glück, les Furies font rage. Cela commence par un déchaînement sans pareil : tempête, implorations du chœur (« Secourez-nous, ô dieux »), cris d’Iphigénie. Aucun opéra n’avait encore commencé ainsi, et bien peu de pièces.

L’Iphigénie de Goethe : Iphigénie en Tauride

   Le sacrifice humain forme le thème fondamental d’Iphigénie. Dans les temps primitifs, on immolait des hommes sur l’autel d’Artémis, déesse de la chasse, afin que la chasse dont le produit revenait au peuple ou à la tribu fût abondante. Iphigénie doit être sacrifiée sur l’autel de la déesse, afin que réussisse l’expédition de Troie : c’est Iphigénie en Aulide telle que la connaissaient les contemporains de Goethe, surtout par l’opéra de Gluck mais aussi par Racine. Les Anciens avaient déjà remplacé le sacrifice humain par un acte symbolique : on envoyait la vierge en Tauride, sur les rivages de la Crimée. Là, son frère Oreste la retrouve, l’enlève aux Barbares et ramène dans sa patrie sa sœur portant l’image de la déesse qu’elle sert. C’est Iphigénie en Tauride. Il est difficile de savoir ce que Goethe connaissait des précédentes Iphigénie, celles d’Euripide, de Racine, de Gluck, cette dernière exécutée à Paris peu de mois avant qu’il eût commencé son travail. Il a dit un jour que c’est justement son ignorance des modèles antiques qui l’avait favorisé : « L’ignorance est féconde. J’écrivis mon Iphigénie d’après me lectures sur la Grèce, lesquelles étaient insuffisantes. Si elles avaient été complètes, la pièce n‘aurait jamais été écrite. »      

   Vouloir comparer cette Iphigénie avec celles qui l’ont précédée n’a donc qu’un intérêt limité. Cela ne peut que servir à démontrer combien est peu grecque l’œuvre de Goethe qui devint par la suite le sommet du nouveau classicisme.

   Pas un cri ne retentit dans l’œuvre de Goethe à la différence de celle de Glück. C’est à peine si les contrastes sont marqués. Tous les personnages ont noble allure, même les seconds rôles. Pas d’orage, juste un vent léger sur les sommets du bois sacré de Diane. Tout effet apparent est exclu. « Puisse l’idée de pureté, qui imprègne jusqu’à la bouchée que je porte à mes lèvres, devenir de plus en plus claire en moi », note Goethe dans les jours où il travaille à son œuvre. Iphigénie a l’âme pure, celle d’une prêtresse et d’une sœur ; le souvenir de sa sœur Cornélie a certainement autant inspiré Goethe que la présence de son autre sœur Charlotte. Iphigénie suave son frère par sa pureté. Créée beaucoup moins d’après un modèle que d’après un idéal ardemment désiré, elle est dénuée de toute féminité. Sa tunique blanche est tendue en plus rigides et bien ordonnés. Ceci aussi est révélateur. Elle prononce des paroles presque chrétiennes : le cœur doit être « immaculé ». C’est donc avec ce cœur pur qu’elle expie pour son frère, qu’elle le réconcilie avec le roi des Barbares. Et ils se séparent en paix.   

   En toute hâte, en une semaine à peine, la pièce est prête à être représentée. A la cour de Weimar, la belle actrice Corona tient le rôle principal, Goethe joue Oreste, le prince Constantin, remplacé par son frère Charles-Auguste dès la deuxième représentation, joue Pylade ; son ami Knebel, le roi. Comme public, le petit cercle de la société de cour. Les costumes sont à l’antique, Corona en tunique blanche à longs plis, Goethe dans une sorte de costume d’empereur romain, avec de hautes sandales, des boucles flottantes, une ramure à écailles autour des hanches : « On croyait voir un Apollon », racontera plus tard un spectateur. Goethe note le soir : « Joué Iphigénie. Excellente impression, surtout sur les personnes à l’âme pure. »  

Toutefois, Goethe n’a jamais considéré Iphigénie comme terminée. La première version était en prose ; puis il a séparé les vers en iambes et enfin, en Italie, sur le conseil de Herder, il l’a transposée en vers. Il a abandonné à Schiller le soin de l’adapter à la scène. Il s’en est ensuite désintéressé. Il a fallu longtemps pour qu’elle fût comprise des lecteurs, plus longtemps encore pour qu’elle vienne sur la scène. Puis elle est devenue un élément éducatif, un devoir pou écoliers, dissertation d’étudiant ou sujet d’étude.      

Sources pour Glück et Goethe : Richard Friedenthal, Goethe, sa vie et son temps, Fayard, 1967

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Date de dernière mise à jour : 02/04/2020