« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Le Diable boiteux (Lesage)

Le Diable boiteux (Lesage)   Dans Le Diable boiteux de Lesage (1707), inspiré de l’auteur espagnol Luis Velez de Guevara, Zambullo (don Cléophas Léandro Perez Zambullo), qui vient de délivrer Asmodée, enfermé dans une bouteille par un magicien de Madrid, peut voir à travers le toit des maisons en récompense ; il rapporte ce qu’il y voit, la laideur des âmes et des corps, la beauté n’étant qu’apparence. 

Extraits

    « J’aperçois dans les maisons voisines deux tableaux assez plaisants ; l’un est une coquette surannée qui se couche après avoir laissé ses cheveux, ses sourcils et ses dents sur la toilette ; l’autre un galant sexagénaire qui revient de faire l’amour. Il a déjà ôté son œil et sa moustache postiches avec sa perruque qui cachait une tête chauve. Il attend que son valet lui ôte son bras et sa jambe de bois, pour se mettre au lit avec le reste... »

    Plus loin, Zambullo dit : « Si je m’en fie à mes yeux, je vois dans cette maison une grande jeune fille faite à peindre. – Hé bien, reprit le boiteux, cette jeune beauté qui vous frape est sœur aînée de ce galant qui va se coucher. On peut dire qu’elle fait la paire avec la vieille coquette qui loge avec elle. Sa taille que vous admirez est une machine qui a épuisé les mécaniques. Sa gorge et ses hanches sont artificielles. [...] Néanmoins comme elle se donne un air de mineure, il y a deux jeunes cavaliers qui se disputent ses bonnes grâces. Ils en sont venus aux mains pour elle. Les enragés ! Il me semble que je vois deux chiens qui se battent pour un os... »

    Ou encore : « ... Sa nièce, qui est couchée dans un appartement au-dessus du sien, passe la nuit délicieusement : le sommeil lui présente les plus agréables idées. C’est une fille de vingt-cinq à trente ans, laide et mal faite. Elle rêve que son oncle, dont elle est l’unique héritière, ne vit plus, et qu’elle voit autour d’elle une foule d’aimables seigneurs qui se disputent la gloire de lui plaire... »

    Ou bien : « ... – Si je ne me trompe, dit don Cléophas, j’entends rire derrière nous. – Vous ne vous trompez point, reprit le diable ; c’est une femme qui rit en dormant à deux pas d’ici, une veuve qui fait la prude et qui n’aime rien tant que la médisance. Elle songe qu’elle s’entretient avec une vieille dévote dont la conversation lui fait beaucoup de plaisir... »     

    Roman picaresque et roman de mœurs davantage que roman libertin, Le Diable boiteux annonce l’Histoire de Gil Blas de Santillane, publiée de 1715 à 1735.

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