« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Salons

Origine des premiers salons au début du 17e siècle

   Le terme de « salon » n’est pas utilisé au 17e siècle et n’apparait qu’à la fin du 18e siècle. Furetière dans son Dictionnaire universel ((1690), indique que le salon, comme l’italien salone ou sala (dont il dérive) est une grande salle destinée aux réceptions officielles. Jusqu’à la Révolution, on utilise salle, chambre, assemblée, société, compagnie, cercle, cour, cabale, alcôve, ruelle, cabinet, réduit.    

   Pourquoi cette origine italienne ? L’Italie a une grande avance sur la France dans la vie de société : depuis longtemps, les palais vénitiens et florentins disposent de salons magnifiques alors que les hôtels de la noblesse parisienne s’en tiennent à des salles sévères peu propices au commerce mondain, du moins tout au long du 16e siècle et jusqu’au début du 17e. Mme de Rambouillet, d’origine italienne, innove avec son hôtel particulier et sa Chambre bleue.

   Les Précieuses du 17e parlent surtout de ruelle, qui désigne à la fois l’espace compris entre le lit et le mur mais aussi toute la chambre à coucher où elles reçoivent.

   Le salon devient alors le levier de la vie de société car la liberté de ton qui règne au Louvres avec Henri IV a de quoi offusquer. Par ailleurs, après les guerres de religion et ses rudesses, l’aristocratie a besoin de se plier à ces règles nouvelles imposées par la bienséance… et les femmes. Ce sont elles qui gouvernent dans ces salons. Grâce, élégance, distinction, décence et mesure deviennent ainsi l’apanage de l’esprit classique.

   Chaque salon a son ton particulier. Chez Ninon de Lenclos ou la duchesse de Bouillon[1] aux mœurs légères, on tient des propos plus libres qui, notamment chez Ninon, amorcent le libertinage : le doute et la critique des institutions prépare la philosophie du siècle des Lumières.  

   Ces salons ont le mérite de dégager de l’ignorance et de la grossièreté une société restée jusque-là relativement primitive[2]. A la fin du siècle, le salon est devenu une véritable institution sociale qui dispose d’un pouvoir dans le domaine de la littérature, des arts, de la philosophie, de la science – de sa vulgarisation – et des usages. Il fait et défait les réputations et oriente l’opinion – qui deviendra bientôt l’opinion publique – avec les conséquences que l’on sait pour le trône. 

   Benedetta Craveri écrit dans son ouvrage L'Age de la conversation (Gallimard, 2002) : « Seule la société aristocratique de l’Ancien Régime, prisonnière d‘une oisiveté dorée et sans autre souci que celui de s’autocélébrer, pouvait faire de la vie mondaine un art inimitable et une fin en soi. En abolissant les privilèges, la Révolution marquait avec le passé un point de non-retour »

    Mais...

   Dans la Satire X, Boileau attaque férocement les salons féminins qui animent le parti des Modernes. Il la publie à la fin de sa vie, soutenu par La Bruyère.

   Quant à la science, encore à ses balbutiements, elle commence à intéresser les esprits rationnels (masculins et féminins). On lit Descartes, Leibniz, Fontenelle, on s'intéresse aux mathématiques (Newton). L'astrologie disparaît de la Sorbonne en 1666. Bref, la pensée magique s'estompe quelque peu : « Astrologues, devins, haruspices (sic) et consorts se prétendent illégitimement capables de divination. Postuler que l'homme ou la femme puissent prévoir l'avenir s'apparente à croire que les idoles païennes n'étaient pas inertes mais véritablement pourvues d’une âme. » (Newton) Bien entendu, les femmes sont tenues en dehors des études scientifiques (et des études tout court d'ailleurs). Fontenelle affirme : « Pour les recherches laborieuses, pour la solidité du raisonnement, pour la force et la profondeur, il ne faut que des hommes. » San doute pense-t-il, comme Racine :

« Elle flotte, elle hésite, en un mot : elle est femme. »  


[1] Anne Mancini, l’une des nièces de Mazarin.

[2] La vie de société fut très brillante sous les derniers Valois mais elle resta limitée à la cour et ses annexes.

Entrons dans un salon précieux !

Ruelle de Précieuses   Les salons précieux se multiplièrent vers 1650 et, avec eux, apparut la préciosité proprement dite. L'abbé de Pure écrivait en 1656 : « Il est impossible de savoir comment le début s'en est fait et comment la chose s'est rendue si commune. Il n'est plus de femme qui n'affecte d'avoir [dans son salon] une précieuse. Quand on entre dans une ruelle, comme les duchesses ont leur rang dans le cercle, ainsi la précieuse a le sien. »

   À ce moment-là, le terme n'avait rien de péjoratif et les intéressées revendiquaient ce titre pour se distinguer du vulgaire.

   A quoi ressemblaient ces salons ?

   Ces dames habitaient le nouveau quartier à la mode du Marais. Le marteau [de la porte] était emmailloté pour que le bruit du heurtoir ne trouble pas la conversation. La maîtresse de maison recevait dans sa chambre, au premier étage de son hôtel particulier ; le lit trônait sur une estrade, isolé par une balustre ; elle s'y tenait couchée ou bien assise ; une ruelle était occupée par les domestiques, l'autre par les amis siégeant selon leur importance sur des fauteuils - "chaises à bras" -, des chaises, des tabourets ou des « carreaux » - coussins -. La chambre était parfois tenue dans une demi-obscurité favorable à la beauté des invitées et à la concentration d'esprit. Tableaux et miroirs garnissaient les murs.

   Le critique suisse René Bray décrit ainsi les salons précieux dans son ouvrage La Préciosité et les précieux de Thibaut de Champagne à Jean Giraudoux (Paris, 1ere édition 1948) : 

« Dès l’entrée, nous remarquons le marteau emmailloté pour que le bruit du heurtoir ne trouble pas, dit-on, la conversation. [...] Les dames reçoivent dans leur chambre, au premier étage de leur hôtel : sur une estrade trône le lit isolé par un balustre ; la maîtresse des lieux se tient couchée ou assise au pied du lit ; une ruelle est occupée par les domestiques, l’autre par les amies élégantes siégeant sur des fauteuils, des chaises, des tabourets ou des carreaux [coussins] [...]. La chambre est tenue parfois dans une demi-obscurité favorable à la beauté des dames et à la concentration de l’esprit. » 

Mais impossible évidemment de rivaliser avec la « chambre bleue » de Mme de Rambouillet !

Remarque à propos du terme chaise

   Le 17e siècle ne fait pas encore clairement la distinction entre chaise et chaire. Dans ses Mémoires, le cardinal de Retz évoque les Parisiennes qui vont « porter leurs chaires dans le jardin de l’Arsenal » pour assister au siège de la Bastille – déjà ! - par les frondeurs. Ailleurs, il remarque « au sortir de la chaise de Saint-Germain-L’auxerrois », le bon effet du sermon qu’il vient d’y prononcer. Furetière oppose à la chaire de l’évêque, c’est-à-dire le siège pontifical, la chaise du prédicateur ou du professeur. 

N'oublions pas...

   Apparue en France sous les derniers Valois, la vie de société qui, au XVIe siècle s’était à peu près limitée au cadre de la cour, va dès le début du XVIIe s’étendre au milieu plus vaste de la ville. Par leurs tendances et leur esprit, les réunions mondaines ne rappelleront que de fort loin les assemblées du Louvre ou des Tuileries.

   La marquise de Rambouillet a, du reste, moins innové qu’on ne l’a souvent prétendu.

   Bien avant, plusieurs femmes, au lendemain des agitations de la guerre civile, ont présidé des réunions mondaines ; la duchesse de Retz, la duchesse de Rohan, Mme de Villeroy, Mme de Cimiez, Mme de Seneterre, Mme de Guise, Mme de Rivéry, Mme de Rieux, la comtesse de Brienne, la marquise de Canillac.

   Ajoutons-y un peu plus tard Barbe Acarie, Marie-Madeleine d’Aiguillon, Anne-Marie Bigot de Cornuel, Marie Bruneau des Loges, Anne-Geneviève de Longueville, Anne de Montpensier, Henriette de Suze, Jeanne de Verrue, et j'en oublie ! 

Mais ces réunions intimes n’ont pas eu leur histoire propre et ont été éclipsées, dans le souvenir de la postérité, par celles de la fameuse Chambre bleue d’Arthénice qui, elle, fit école.

   N'oublions pas ses devancières...

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Date de dernière mise à jour : 13/10/2017