« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

La Palatine et l'éducation

Quelle éducation pour les membres de la famille royale ? (Lettres de la Palatine)

Elisabeth-Charlotte, fille de la Palatine et duchesse de Lorraine   Madame est très à cheval sur l’éducation, regrette celle donnée à son fils[1] puis à sa petite-fille, la duchesse de Berry, ou à la future duchesse de Bourgogne.

   Elle écrit : « On a fort mal élevé tous les enfants des princes, les garçons comme les filles. Dès l’âge de neuf ans on leur a laissé faire toutes leurs volontés. Mme d’Orléans[2] ne s’est jamais, même pour un instant, occupée de ses enfants : son fils seul a eu le bonheur d’avoir de bons gouverneurs qui l’élevèrent bien et chrétiennement. Ce qu’il y a de certain, c’est que jamais de ma vie je n’ai vu élever, je ne dirais pas des enfants de princes, mais ceux de simples gentilshommes, aussi mal que l’ont été ceux-ci. Ils ont eu pourtant la même gouvernante que ma fille à moi, mais celle-ci, Dieu merci, n’a pas été élevée de cette façon. Un jour je demandai à la gouvernante pourquoi elle n’élevait pas aussi bien mes petites-filles que ma fille[3]. Elle me répondit : « Avec Mademoiselle j’avais votre appui, mais avec ces enfants-ci, quand je me plaignais d’elles, la mère se moquait de moi avec les filles ; ce que voyant, j’ai laissé tout aller comme cela pouvait. » C’est de là que provient cette belle éducation : mais comme je n’ai pas fait le mariage, je ne me suis pas non plus occupée des enfants. En Allemagne on laisse les princesses faire à leur tête, mais ce n’est que de l’électrice douairière de Saxe et d’aucune autre que j’ai entendu dire qu’elle s’enivrait si fort. » (9 décembre 1717)

   « En France, on n’est pas plus tendre pour les enfants qu’en Angleterre. Les gens mettent leurs enfants en nourrice à la campagne et ne se soucient pas d’eux pendant un an ou deux. » (4 août 1718)

« Il est difficile par le temps qui court de trouver un couvent où les enfants puissent apprendre quelque chose de bien. Les carmélites ne prennent pas de pensionnaires et tous les autres couvents où l’on en prend sont tellement remplis de vices et de débauches qu’on frémit d’horreur rien que d’y songer. » (18 août 1718)

   Rien sur Saint-Cyr qui, à sa manière, reste un modèle… Mais la Palatine déteste Mme de Maintenon...  


[1] Le futur régent.

[2] Sa belle-fille, fille bâtarde de Mme de Montespan.

[3] La duchesse de Lorraine.

Élisabeth-Charlotte d’Orléans, fille de la princesse Palatine et dédicataire des Contes de ma mère l’Oye (Perrault, 1697).

Contes de ma Mère l'Oye (Perrault)

DÉDICACE

MADEMOISELLE,

On ne trouvera pas étrange qu’un enfant ait pris plaisir à composer les contes de ce recueil ; mais on s’étonnera qu’il   ait eu la hardiesse de vous les présenter. Cependant, MADEMOISELLE, quelque disproportion qu’il y   ait entre la simplicité de ces récits et les lumières de votre esprit, si on   examine bien ces contes, on verra que je ne suis pas aussi blâmable que je le   parais d’abord. Ils renferment tous une morale très sensée, et qui se   découvre plus ou moins, selon le degré de pénétration de ceux qui les   lisent ; d’ailleurs, comme rien ne marque tant la vaste étendue d’un   esprit, que de pouvoir s’élever en même temps aux plus grandes choses, et   s’abaisser aux plus petites,  on ne   sera point surpris que la même princesse à qui la nature et l’éducation ont   rendu familier ce qu’il y a de plus élevé ne dédaigne pas de prendre plaisir   à de semblables bagatelles. Il est vrai que ces contes donnent une image de   ce qui se passe dans les moindres familles, où la louable impatience   d’instruire les enfants fait imaginer des histoires dépourvues de raison,   pour s’accommoder à ces mêmes enfants, qui n’en ont pas encore ; mais à   qui convient-il mieux de connaître comment vivent les peuples, qu’aux personnes   que le Ciel destine à les conduire ? Le désir de cette connaissance a   poussé des héros, et même des héros de votre race, jusque dans des huttes et   des cabanes, pour y voir de près, et par eux-mêmes, ce qui s’y passait de   plus particulier, cette connaissance leur ayant paru nécessaire pour leur   parfaite instruction. Quoi qu’il en soit,

MADEMOISELLE,  

Pouvais-je mieux choisir pour rendre vraisemblable  

 Ce que la Fable a d’incroyable ?

Et jamais Fée, au temps jadis, 

Fit-elle à jeune Créature

Plus de dons, et de dons exquis,

Que vous en a fait la Nature ?

Je suis avec un très profond respect,

MADEMOISELLE,

De Votre Altesse Royale,

Le très humble et très
obéissant serviteur.

La duchesse de Lorraine, fille de la princesse Palatine (Lettres)

   La princesse Palatine aime ses enfants et se préoccupe de leur sort. La chose est assez rare à la cour pour le souligner. Nous suivons donc dans ses Lettres le destin de sa fille, Élisabeth-Charlotte d’Orléans future duchesse de Lorraine et de Bar. 

   Pour sa fille, elle ne veut pas de mésalliance : « On m’a assuré que la vieille s’est mis en tête de faire épouse à ma fille le plus jeune frères de ma bru ! J’en ai une peur atroce [1]. On fait à ce jeune homme un établissement magnifique. Ce sera le plus grand et le plus riche Seigneur de France. » (16 mars 1695)

   Elle l’élève dans le respect de la morale : « Quant à ma fille, je dois dire la vérité, Monsieur [2] ne la mêle, Dieu merci ! à aucune débauche. Elle n’a pas d’ailleurs la moindre propension à la galanterie ; mais Monsieur ne me laisse pas maîtresse d’elle ; il la mène toujours là où je ne suis pas, et lui fait fréquenter de telles canailles que c’est un vrai miracle qu’elle ne soit pas dépravée. En outre, il lui inculque une telle haine contre les Allemands qu’elle ne peut presque pas supporter d’être auprès de moi, parce que je suis Allemande [3]. Cela me fait craindre qu’il n’en advienne d’elle comme de mon fils, et qu’au premier jour elle ne se laisse persuader de prendre le bâtard [4]. Devant le monde, Monsieur me fait bonne mine, mais en réalité il ne peut pas me souffrir. Dès qu’il voit qu’un de mes domestiques, homme ou femme, s’attache à moi, il le prend en grippe et lui fait toutes sortes de misères, tandis que ceux qui me méprisent sont au mieux avec lui. » (7 mars 1696)

   Dieu merci, sa fille épouse le duc Léopold-Joseph de Lorraine ! Elle est fière de cette alliance : « Hier j’ai vu la toilette de ma fille et un meuble de quarante mille écus que le roi lui donne. On ne peut rien voir de plus beau. Il est en drap d’or épais et frisé de Venise, doublé de drap d’or. Dans les fleurs il manque un tout petit peu de couleur de feu. Le meuble se compose d’un lit, d’un tapis de table, de six fauteuils, de vingt-quatre chaises. C’est le plus bel ouvrage du monde, le célèbre Losné l’a fait. J’imagine qu’en Lorraine on trouvera que ma fille n’est pas mal équipée ; elle a pour vingt mille écus de linge, de dentelles et de point, le tout fort beau et en grande quantité, remplissant quatre énormes caisses. » (15 octobre 1698)

   Le mariage sera-t-il heureux ? « Le duc de Lorraine a l’air de beaucoup aimer ma fille. Si seulement cet amour pouvait durer, ils seraient tous deux assez heureux. « Mais hélas il n’est point d’éternelles amours », comme on dit dans Clélie [5], et d’ordinaire il se trouve dans les cours beaucoup de méchantes gens qui prennent plaisir à brouiller les maîtres. Il m’est donc impossible de croire que le bonheur de ma fille soit assuré. » (5 novembre 1698) 

   Sa fille est enceinte : « J’aimerais bien assister aux couches de ma fille, si le roi le permet. Elle est un peu novice dans ce métier-là, c’est pourquoi je voudrais être auprès d’elle. » (1er mai 1699) « Mon voyage à Bar est bien peu certain, car on commence à dire qu’il coûterait gros et occasionnerait des frais inutiles. » (23 juin)

   Elle semble heureuse : « Ma fille, Dieu merci, est heureuse de son mariage avec notre duc de Lorraine. La seule chose qui la tourmente est un peu de nostalgie ; elle craint que son mari ne l’emmène pas avec elle quand il devra venir ici pour recevoir l’investiture du duché de Bar. Je ne comprends pas que ma fille ait tant envie de revenir, car elle n’a pas été assez bien traitée par son oncle [6] et par ses cousins pour le désirer ; mais c’est dans le sang des Français [7] ; ils veulent tous revoir Paris. » (16 septembre 1699)

   Sa fille lui rend visite. Le roi est mort et, sous la régence, s’installent des mœurs dépravées : « Ma fille est dans une stupéfaction telle de tout ce qu’elle voit et entend qu’elle n’en revient pas. Elle me fait souvent rire avec son ébahissement. En particulier elle ne peut s’habituer à voir des dames qui portent les plus grands noms se laisser aller, en plein Opéra, entre les bras des hommes qu’elles ne détestent pas, à ce qu’on dit. En voyant cela, elle s’écrie : « Madame ! Madame ! » Je lui réponds : « Que voulez-vous, ma fille, que j’y fasse, ce sont les manières du temps. – Mais elles sont vilaines », fait-elle, et cela est vrai. Mais si en Allemagne où l’on veut singer tout ce qui se fait en France on apprend la vie que mènent les princesses ici, tout est perdu et s’en ira à vau-l’eau. » (13 mars 1718)

   Hélas, son beau-fils prend une maîtresse : « C’est une malédiction que ces affreuses maîtresses ! Partout elles causent des malheurs ; elles sont possédées du démon. Ma pauvre fille s’en aperçoit bien : la sienne [8] est une méchante femme qui fait son possible pour lui enlever totalement son mari. Je ne jurerais pas qu’elle n’ait pas fait flamber le château de Lunéville, car elle hait ma fille bien plus qu’elle n’aime le duc. On a prouvé qu’il y avait un homme qui a fait taire une femme lorsqu’elle voulait crier au feu, en disant : « Si vous criez au feu, vous êtes morte » ; et un autre a dit : « Ce n’est pas moi qui ai mis le feu au château. » Ma fille croit que ç’a été fait à l’instigation de la vieille ordure [9], qui a voulu la faire brûler pour se venger de moi et de mon fils, et lui faire payer ainsi ce qu’il a fait à son duc du Maine [10] et à la duchesse. Je n’en mettrais pas la main au feu ; elle est assez méchante pour cela […]. Le boiteux [11] a fait croire à Mme d’Orléans [12] que, si mon fils venait à mourir, il ferait en sorte que le duc de Chartres [13] serait nommé régent et elle-même régente et qu’ainsi elle gouvernerait tout le royaume. Elle est donc toute chagrine que la conspiration ait été découverte. » (2 février 1719)

   Comme toujours, elle rit au nez des prêtres : « Mon confesseur s’est donné une peine infinie pour me persuader qu’il ne se passe rien de répréhensible entre le duc de Lorraine et Mme de Craon et que de sa vie il ne la voyait en tête à tête. Je lui ris au nez et dis : « Mon père, tenez ces discours dans votre souvent à vos moines qui ne voient le monde que par le trou d’une bouteille, mais ne dites jamais cela aux gens de la cour ! Nous savons trop que quand un jeune prince très amoureux est dans une cour, où il est le maître, quand il est avec une femmes jeune et belle vingt-quatre heures, qu’il n’y est pas pour enfiler des perles, surtout quand le mari se lève et s’en va si tôt que le prince arrive, et pour les témoins qui sont dans la chambre cela n’est pas vrai, mais quand cela serait, ce sont tous domestiques à qui le maître n’a qu’à faire un clin d’œil pour les faire partir. Ainsi si vous croyez sauver vos pères jésuites qui sont les confesseurs, vous vous trompez beaucoup, car tout le monde voit qu’ils tolèrent le double adultère. » Le père de Lignières se tut et ne m’en a plus parlé depuis. » (ibidem) « Ma fille vit un tourment continuel : il ne peut lui être agréable de voir qu’on aime mieux sa surintendante qu’elle […]. Le mari de cette dame est le plus grand coquin que l’on puisse trouver au monde : il ruine le duc de Lorraine à fond. Ma fille pourrait bien prendre son parti quant à l’affection de son mari, mais de voir ses enfants ruinés par ce vilain c… de Craon, c’est là ce qui l’afflige. » (12 juin 1721)

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Notes

[1] C’est un bâtard de Louis XIV et de Mme de Montespan.  

[2] Son époux, le frère du roi.

[3] N’exagère-t-elle pas quelque peu ? Madame est prompte à la vindicte !

[4] Le duc du Maine.

[5] Roman de Mlle de Scudéry. Madame lit beaucoup.

[6] Louis XIV.

[7] Madame critique volontiers la France.

[8] Madame parle ici de Mme de Craon, la maîtresse de Charles-Léopold de Lorraine, époux de sa fille Élisabeth-Charlotte.

[9] Il s’agit de Mme de Maintenon. Madame exagère !

[10] Conspiration de Cellamare.

[11] Le duc du Maine.

[12] Belle-fille de Madame.

[13] Petit-fils de Madame.

Incendie du château de Lunéville le 3 janvier 1719 (Lettre de la Palatine)

Chateau de Lunéville   Le château de Lunéville, résidence du duc de Lorraine et de son épouse, Élisabeth-Charlotte d'Orléans [fille de la Palatine], semble maudit : sept incendies dont celui du 3 janvier 1719, décrit ici par la Palatine, fut le premier.

   « Bien-aimée Louise [demi-sœur de la Palatine], il nous vient derechef un malheur. Tout le château de Lunéville est brûlé de fond en comble avec tout le mobilier, le 3 de ce mois à cinq heures du matin. Une baraque prit feu ; les gens voulurent cacher la chose, ils crurent pouvoir arrêter l’incendie en démolissant et en creusant les murs ; mais il y avait tout près de là un bûcher ; le vent y poussa la flamme, aussitôt tout ce bois brûla, le feu se communiqua au jeu de paume, de là gagna la toiture, et dans l’espace d’une heure, tout fut brûlé ; tout le garde-meuble en premier lieu. On a voulu sauver les archives et les papiers, mais plus de cent personnes [beaucoup moins en fait] ont payé cette tentative de leur vie. La chapelle du château aussi, tout nouvellement bâte et fort belle, avait-on dit, est en cendres. On estime la perte à quinze ou vingt millions. On a sauvé les enfants en les emportant en chemise, enveloppés dans des couvertures, et ma fille a voulu se faire porter en chaise, les jambes nues, mais les porteurs tremblaient tellement, qu’ils n’ont pas pu avancer ; elle a donc, par deux pieds de neige, dû traverser tout le jardin, non chaussée. Vous vous figurez l’angoisse horrible où elle était, jusqu’à ce qu’elle eût retrouvé ses chers enfants. » (8 janvier 1719).

Mariage du duc d'Orléans avec Mlle de Blois

La jeune Mlle de Blois faisant des bulles   La princesse Palatine s’oppose violemment aux mariages de ses enfants avec les bâtards légitimés élevés par Mme de Maintenon, qu’elle considère comme une mésalliance : sa fille avec le duc du Maine et son fils Philippe [1] avec la seconde Mlle de Blois. Le premier ne se fera pas [voir supra] mais le second, si.

   Saint-Simon décrit la scène dans ses Mémoires : « Madame se promenait dans la galerie avec Châteautiers, sa favorite et digne de l’être ; elle marchait à grands pas, son mouchoir à la main, pleurant sans contrainte, parlant assez haut, gesticulant, et représentant fort bien Cérès après l’enlèvement de sa fille Proserpine, la cherchant en fureur et le redemandant à Jupiter. Chacun, par respect, lui laissait le champ libre […]. M. son fils s’approcha d’elle comme il faisait tous les jours pour lui baiser la main ; en ce moment Madame lui appliqua un soufflet, si sonore qu’il fut entendu de quelques pas, et qui, en présence de toute la cour, couvrit de confusion ce pauvre prince… »      

   Mais laissons la parler :    

   « On m’a dit en confidence les vraies raisons pour lesquelles le roi traite si bien le chevalier de Lorraine et le marquis d’Effiat [2] : c’est parce qu’ils lui ont promis d’amener Monsieur à le prier très humblement de vouloir bien marier les enfants de la Montespan avec les miens, mon fils avec Mlle de Blois. La Maintenon, dans cette circonstance, est tout à fait pour la Montespan, car c’est elle qui a élevé les bâtards, et elle aime ce méchant boiteux comme si c’était son propre enfant. Elle m’a montré des lettres de lui qu’il lui écrivait d’une chambre à l’autre, et dans lesquelles il l’assure qu’il l’aime mieux et la respecte beaucoup plus que Mme de Montespan, parce qu’elle ne les réprimande jamais sans raison, tandis que sa mère ne le fait que par caprice ; aussi lui est-il plus dévoué qu’à Mme de Montespan. La Maintenon est donc très favorable à ce mariage. Je l’ai appris par des femmes qui en ont entendu parler par la Montespan et la Maintenon elles-mêmes.  

   Imaginez-vous si je me fais du mauvais sang à cette pensée que ma fille serait seule si mal pourvue, tandis que ses sœurs sont si bien mariées. Lors même que le duc du Maine au lieu d’être le fruit d’un double adultère, serait un prince légitime, je n’en voudrais pas pour mon gendre, non plus que de sa sœur pour ma bru ; car il est affreusement laid, paralysé, et il joint encore à cela plusieurs autres mauvaises qualités ; ainsi il est avare en diable et n’a pas un bon naturel. Sa sœur, elle, a bien un bon caractère, mais elle est excessivement maladive, et elle a toujours les yeux si faibles que je crois qu’elle finira par devenir aveugle. Par-dessus le marché, ils sont l’un et l’autre, comme je vous l’ai dit, bâtards d’un double adultère et enfants de la femme la plus méchante et la plus perdue que la terre puisse porter. Je vous laisse maintenant à penser combien je dois désirer ce mariage […].

   J’ai encore oublié de vous dire une chose. Pour qu’il ne paraisse pas que les partisans du Lorrain sont mêlés à l’affaire du mariage de es enfants, la Maintenon et la Montespan ont fourré dans la tête de la grande Mademoiselle que puisque M. du Maine était son héritier, elle devait lui laisser tout le reste de sa fortune à la condition qu’il épouserait ma fille, et que de la sorte son bien reviendrait pour ainsi dire dans sa propre maison par les enfants de Monsieur. Ils font cela pour s’assurer tout ce que possède Mademoiselle, qui (comme une autre folle, Dieu me pardonne !) tombe dans ce panneau. Et parce qu’elle a fait la sottise de donner son bien au bâtard pour tirer de prison son petit crapaud de Lauzun [3], elle voudrait qu’à notre tour nous fussions aussi fous qu’elle. » (14 avril 1688)

« J’ai appris qu’il a été fait au boiteux [M. du Maine] des propositions de mariage venant de l’hôtel de Condé. Si j’étais avec le roi sur le même pied que jadis et s’il m’emmenait encore à la chasse, je m’arrangerais bien de façon à lui parler de la chose, mais il lui est interdit de m’emmener où que ce soit (c’est un ordre de la vieille femme) et si j’avais quelque chose à lui dire, je serais obligée de lui demander une audience en règle. » (2 août 1688)   

   « J’aimerais mieux que ma fille restât mademoiselle toute sa vie, si on devait lui faire faire un mariage équivoque. Elle grandit énormément ; elle est presque plus grande que moi ; sa taille n’est pas mal ; elle danse et a presque la même tournure que feu la bonne reine d’Espagne, si vous vous en souvenez. Seulement elle ne lui ressemble pas du tout de visage. Elle a une jolie peau, mais tous les traits sont laids : un vilain nez, une grande bouche, les yeux tirés et une figure plate, comme vous pouvez le voir sur son portait. » (29 mars 1691)  

   « Grâces soient rendues à Dieu ! Le mariage de M. du Maine est une affaire faite et enfin ce poids m’est ôté du cœur. Je crois qu’on a dû rapporter à la vieille ordure du roi ce que disait le peuple de Paris et que cela lui aura fait peur. Les gens du peuple disaient très haut que ce serait une honte si le roi donnait sa bâtarde à un prince légitime de sa famille ; que cependant, comme mon fils donnerait le rang à sa femme, ils laisseraient faire ce mariage, quoique à contrecœur ; mais que si la vieille femme s’avisait de donner ma fille à M. du Maine, ils étrangleraient celui-ci avant que le mariage ne fût consommé et que la vieille femme, qu’ils appellent encore sa gouvernante, ne serait pas en sûreté. (5 mars 1692)

   « Ma belle-fille est une désagréable et méchante créature ; elle ne s’inquiète pas de mon fils et méprise Monsieur comme si elle était quelques chose de bon ; elle ne me fait rien, mais elle vit à mon égard dans une affreuses indifférence. Elle ne veut rien dire devant moi de ce qu’elle fait, et reste quelquefois quinze jours sans venir me voir. Je la laisse courir et ne fais pas semblant de m’en apercevoir ; mais son arrogance et sa mauvaise humeur sont insupportables, et sa figure est parfaitement déplaisante. Elle ressemble à un cul comme deux gouttes d’eau : elle est toute bistournée ; avec cela une affreuse prononciation comme si elle avait toujours la bouche pleine de bouillie, et une tête qui branle sans cesse. Voilà le beau cadeau que la vieille ordure nous a fait. Vous pouvez vous figurer si elle doit mener avec elle une vie agréable. Mais la naissance tient lieu de tout et supplée aux qualités qui manquent. Elle tourmente son mari tant et plus, et le pauvre garçon se repent amèrement d’avoir fait cette folie et de n’avoir pas voulu me croire. Elle veut aussi le prendre de haut avec ma fille ; elle prétendrait volontiers se faire servir par elle comme par une domestique ; mais ma fille ne se laisse pas imposer par ses grands airs et se moque tout simplement d’elle, ce qui donne souvent lieu à des bouderies. » (10 octobre 1693)    

   « La femme de mon fils est une dégoûtante créature ; elle s’enivre comme un sonneur trois ou quatre fois par semaine. Elle n’a d’ailleurs aucune inclination pour moi ; si je suis quelque part avec elle, on ne peut pas lui arracher un mot ; c’est la Maintenon qui l’a rendue si méfiante à mon égard. Du reste, le roi préfère tous les bâtards. Doit-on aller quelque part avec lui, il faut qu’on aille chercher les dames au nom des princesses ; elles sont de tout le particulier, et moi je dois tous les soirs voir Mme de Chartres [sa belle-fille] entrer dans le cabinet du roi, tandis qu’on me ferme la porte au nez. » (7 mars 1696).

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Notes 

[1] Le futur régent.

[2] Favoris de Monsieur.

[3] Emprisonné neuf ans à Pignerol pour irrespect envers le roi ; il réussit à épouser secrètement la Grande Mademoiselle en 1680.

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Date de dernière mise à jour : 08/09/2019