« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Termes « savants » à utiliser en poésie

En poésie et dans d'autres domaines !

Parmi les plus complexes

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  • Anacoluthe (également en prose) : rupture de construction. Exemple : « Où l’imprudent périt, les habiles prospèrent » (Voltaire). Plus précisément : du grec anacolouthos, « qui ne suit pas » (de an privatif et acoulouthos, qui suit). Ecart par rapport à la syntaxe courante, à la construction grammaticale d’une phrase. Autres exemples : « La noblesse de Rennes et de Vitré l’ont élu malgré lui. » (Mme de Sévigné, Lettres) = un verbe au pluriel après un sujet au singulier. « Le nez de Cléopâtre, s’il eût été plus court, toute la face de la terre aurait été changée. » (Pascal, Pensées). 

    Fonction : elle devient un effet de style quand elle privilégie le sens par rapport à la grammaire ou qu’elle exprime l’émotion, l’importance d’un fait ou d’une violence.

  • Asyndète : suppression des conjonctions de coordination et de toute liaison logique ou sémantique.  Exemple : « Je vis, je meurs, je me brûle et me noie » (Louise Labbé).

 

  • Césure (ou coupe) : la césure sépare l’alexandrin ou le décasyllabe en deux unités rythmiques. Les autres vers présentent des coupes. A l’intérieur des vers, les césures et coupes correspondant au temps de respiration (au Moyen Age les poèmes étaient chantés).

 

  • Chiasme : du grec khiazein, « disposer en forme de X (khi) ». Figure consistant à disposer en miroir un minimum de quatre éléments du discours qui se correspondent deux à deux (structure AB/BA). On distingue le chiasme grammatical portant sur les mots grammaticaux (« Joyeux la nuit, le jour triste je suis ; / J’ai en dormant ce qu’en veillant poursuis. » Du Bellay, « L’Olive »), sémantique portant sur des idées (« Ce que je sens, la langue ne refuse / Vous découvrir, quand je suis de vous absent, / Mais tout soudain que près de moi vous sent, / Elle devient et muette et confuse (ibidem), phonique auquel se superpose un chiasme grammatical (« Fais donc, Amour, pour m’être charitable, / Brève (è) ma vie (i) ou ma nuit (i) éternelle (è) (ibidem).

       Fonction : le chiasme resserre la trame du texte, tend à souligner la césure même qui le constitue et aura donc une fonction rythmique importante. Du point de vue du sens, il permet des entrelacs logiques. Dans les exemples ci-dessus, l’alliance du chiasme et de l‘antithèse accentue les paradoxes liés au trouble du poète devant sa Dame.

  • Contre-rejet : les derniers mots d’un vers commencent la phrase qui s’achève au vers suivant. Exemple : « Elle peignait ses cheveux d’or et j’aurais dit / qu’elle martyrisait à plaisir sa mémoire » (Aragon).

 

  • Diérèse : prononciation séparée de deux voyelles qui se suivent ; effet d’insistance. Exemple : « Qui triomphe de Troie une seconde fois » (Racine). « Triomphe = 3 syllabes (pieds) => insistance sur la nouvelle victoire du héros. Ou encore : pa-ssi-on pour pas-ssion.

Historique de la diérèse : quand la prononciation était conforme à l’étymologie, au Moyen Age, il était simple d’identifier les syllabes en fonction d’une perception intuitive des voyelles anciennes. A l’âge classique, on s’efforce de clarifier les règles en tenant compte à la fois de la tradition et de l’évolution. La diérèse contribue à donner à la langue poétique un effet d’insistance, elle ennoblit le mot et le rend solennel.  

  • Diégèse : du grec diêgêsis, « narration ». Synonyme de récit, le mot désigne les transformations successives de la situation exposée dans l’énoncé. Dans une œuvre littéraire, la diégèse est l’histoire racontée, la relation des événements considérés dans leur déroulement.  

    Platon, dans La République, distingue la mimésis, qui est la représentation directe des faits (exemple du théâtre) de la diégésis, qui en est la représentation indirecte, mise à distance par un narrateur (exemple de l’épopée). Il note toutefois qu’un récit comme l’Iliade peut contenir de larges citations de discours de personnages : ce sont des moments où la diégésis tend vers la mimésis. Aristote, dans la Poétique, emploie les termes de manière légèrement différente : pour lui, le genre dramatique (imitation directe) et le genre épique (imitation privilégiant la diégésis) participent tous deux de la mimésis, de la représentation. Le terme mimésis inclut dans ce cas la diégésis. La différence entre ces deux philosophies de la représentation poétique est d’ordre moral. Pour Platon, il faut préférer la diégèse pure, représentation narrative et distanciée des faits, à l’imitation des paroles, qu’apprécie en revanche Aristote (qui place la tragédie au-dessus de l’épopée et aime chez Homère les moments où la narration cède la parole aux personnages.

  • E muet parfois prononcé dans la langue versifiée. Au 16e siècle, il était élidé en prose et Ronsard voulait le faire disparaître en poésie. Au 17e, La Fontaine joue sur les incertitudes de la prononciation. Devant une voyelle ou un h muet à l’intérieur du vers, il ne se prononce pas : c’est l’élision. Exemple : « Sur l’axe harmonieux des divins balanciers. »   Mais devant un mot qui commence par une consonne, le e muet compte pour une syllabe. Exemple : « Je ne distingue pas leur terrier de leur cendre. » Dans ce dernier exemple, le e de cendre ne compte pas. On a une apocope.

 

  • Enjambement : long rejet d’un vers à l’autre ou d’une strophe à l’autre. Exemple : « Il pleure dans mon cœur / Comme il pleut sur la ville » (Verlaine).

 

  • Hypotypose : du grec hupo, « au-dessous » et tupos, « empreinte en creux ou en relief que laisse la frappe d’une matrice. Figure de style consistant à évoquer un objet, un être ou une scène de façon si intense qu’on les fait voir. Fonction : frapper l’imagination pour provoquer une émotion (rire, pitié, peur, etc.). Il peut s’agir d’une description vive et animée ou d’un récit, mais d’un événement unique et dramatique qui recourt souvent à d’autres figures de style (apostrophe, focalisation, gradation, hyperbole, métaphore, etc.) Exemples : la description du sac de Troie dans Andromaque de Racine (« Songe, songe, Céphise, à cette nuit cruelle… », III, 8), le récit de la mort tragique d’Hippolyte dans Phèdre (V,6), certaines anecdotes de Mme de Sévigné, le récit de la bataille de Waterloo dans La Chartreuse de Parme de Stendhal, la description de l’alambic dans L’Assommoir de Zola, de la mine dans Germinal, celle de la place Monge dans Le Jardin de Plantes de Claude Simon.

 

  • Intertextualité : du latin inter, « entre » et textus, « tissu, texte ». Elle et constituée par l’ensemble des relations qui existent entre un texte et un ou plusieurs autres textes. Cette notion fut introduite par Julia Kristeva (Séméiôtiké, 1969) et permet de décrire un aspect spécifique de la création littéraire : une œuvre ne naît pa ex nihilo, mais dabs un paysage d’œuvres récentes ou anciennes avec lesquelles elle entretient un dialogue, alors même qu’elle proclame sa volonté de rompre avec toutes les œuvres antérieures. Michel Butor écrit : « Tout roman, poème, tout écrit nouveau est une intervention dans ce paysage antérieur. » Tout travail d’écriture est réécriture de textes antérieurs, c’est-à-dire « absorption et transformation d’un autre texte » dit Julia Kristeva. Selon Tzvetan Todorov, « le sens de Madame Bovary est de s’opposer à la littérature romantique. » Ces relations sont parfois explicites (citation, plagiat, pastiche ou parodie) mais elles restent plus généralement implicites. L’intertextualité ne se confond pas avec la recherche des sources ; elle permet de montrer le rôle dynamique du jeu des emprunts et des influences dans le processus créatif.    
  • Littérarité : néologisme formé à partir de l’adjectif littéraire. Spécificité d’un texte littéraire. Cette notion fut inventée dans les années 1920 par Roman Jakobson pour désigner l’objet de ce que devait être une science de la littérature : « L’objet de la science de la littérature n’est pas la littérature mais la littérarité, c’est-à-dire ce qui fait d’une œuvre donnée une œuvre littéraire. » Ce parti pris des « formalistes russes » a été une réaction contre les autres discours utilisés dans le cadre des études littéraires (discours biographique, psychologique, historique, politique, philosophique, etc.) qui ne tenaient pas compte de la spécificité du langage littéraire. Selon Jakobson, le langage littéraire se distingue des autres langages (scientifique, journalistique) par son caractère « opaque » : loin d’être le médiateur transparent d’une pensée, il est d’abord une forme (un ensemble de faits verbaux) qui attire l’attention sur elle-même. Etudier la littérarité des œuvres littéraires consiste donc à étudier l’ensemble des procédés littéraires utilisés par les écrivains. C’est dire que la notion de littérarité constitue l’une des réponses à la question qui hante toute théorie littéraire : qu’est-ce que  la littérature ?       
  • Métonymie : du grec metônumia, « changement de nom ». Remplacement d’un mot par un autre qui entretient avec le premier une relation logique (et non analogique comme dans le cas de la métaphore). Exemple : Le quai D’Orsay n’a pas fait de déclarations (métonymie du lieu ou exerce le ministre des Affaires étrangères. Fonction : raccourci d’expression ainsi que procédé de symbolisation qui représente une réalité par un signe permettant de l’identifier (Exemple : A lui tous les lauriers = à lui la victoire traditionnellement symbolisée par une couronne de lauriers).     
  • Palimpseste : au sens propre, parchemin sur lequel on a effacé une première inscription pour en porter une seconde. Sens figuré : en notant que, dans un palimpseste, le texte primitif peut toujours être lu sous le nouveau texte, Gérard Genette propose d’étendre le terme à la double inscription dans les œuvres littéraires d’une œuvre nouvelle et de l’œuvre antérieure dont elle dérive et à laquelle elle se superpose. C’est ainsi que dans Palimpsestes (1982), Genette se propose d’explorer les transformations d’un hypotexte (le « texte du dessous », le texte primitif, les Fables d’Esope par exemple) en hypertexte (celui qui découle de l’hypotexte et parfois le cache) : ainsi les Fables de La Fontaine qui reprennent en les mettant en vers et en déformant parfois le sens, les apologues d’Esope. Genette parle d’une « littérature au second degré qui s’écrit en lisant » et en parodiant, pastichant, développant, transposant, condensant des modèles antérieurs.

  • Parataxe : rupture de construction qui consiste à supprimer le lien de subordination entre deux propositions.

 

  • Paronyme : mot proche d’un autre par sa forme et sa sonorité mais différent par le sens. Le rapprochement volontaire de deux termes paronymes dans une même phrase produit une figure appelée « paronomase » (« Comparaison n’est pas raison »). Exemple : éruption / irruption.

 

  • Prétérition : du latin praeteritio, « omission ». Paradoxe théorique par lequel un locuteur dit ce qu’il prétend ne pas dire. Exemple : « Il est incompétent, pour ne pas dire idiot. ». Dans la scène 2 du Misanthrope, Alceste critique sévèrement les vers d’Oronte en sa présence, tout en s’en défendant et en prétendant parler d’une tierce personne :

Oronte

Est-ce qu’à mon sonnet vous trouvez à redire ?

Alceste

 Je ne dis pas cela ; mais, pour ne point écrire,

Je lui mettais aux yeux comme, dans notre temps,

Cette soif a gâté de fort honnêtes gens.

Oronte

Est-ce que j’écris mal et leur ressemblerais-je ?

Alceste

Je ne dis pas cela ; mais enfin, lui disais-je,

Quel besoin si pressant avez-vous de rimer ? 

 

  • Prose cadencée : du latin cadere, « tomber ». Prose caractérisée par une recherche portant sur le rythme, la cadences des phrases. Il s’agit d’obtenir tantôt un effet de régularité ou de symétrie par le retour et l’agencement des mêmes groupes rythmiques, tantôt un effet de progression, de gradation par l’élargissement et l’amplification du rythme, tantôt un effet de chute. Cette recherche sur le rythme est fréquente dans l’éloquence oratoire (Bossuet, Fénelon), la prose poétique (Rousseau, Senancour, Chateaubriand) ou dans le poème en prose (Baudelaire).

   On observe le découpage de la phrase. On distingue le rythme binaire (« Il (le roi) peut tout sur les peuples ; / mais les lois peuvent tout sur lui », Fénelon, Télémaque), ternaire (« Un brouillard couvrit les Alpes, / quelques pics isolés sortaient seuls de cet océan de vapeur ; / des filets de neige éclatante, retenus dans les fentes de leurs aspérités rendaient le granit plus noir et plus sévère (Senancour, Oberman), l’effet cumulatif (« Qu’il fallait peu de chose à ma rêverie ! une feuille séchée que le vent chassait devant moi, une cabane dont la fumée s’élevait dans la cime dépouillée des arbres, la mousse qui tremblait au souffle du nord sur le tronc d’un chêne, une roche écartée, un étang désert où le jonc flétri murmurait ! » Chateaubriand, René) et l’effet de parallélisme : « Est-ce-là le grand arbre qui portait son faîte jusqu’aux nues ? Il n’en reste plus qu’un tronc inutile. Est-ce là le fleuve qui semblait devoir inonder toute la terre ? Je n’aperçois plus qu’un peu d’écume », Bossuet, Sermon sur l’ambition)

  • Prosodie : du grec prosôdia, « accent, quantité dans la prononciation ». Au sens large : caractères rythmiques et mélodiques des sons dans un texte littéraire. Sens retreint : étude de ces caractères, en particulier dans la poésie. Donc, étude des allitérations, assonances, rimes, du rythme, des intonations, de l’accentuation.

 

  • Prosopopée : du grec prosopôn, « personne ». Figure de rhétorique consistant à faire parler un absent, un mort, un inanimé, une abstraction. Exemple : « La prosopopée de Fabricius » dans le Discours sur les sciences et les arts, où Rousseau donne la parole à un citoyen romain qui déplore la décadence de l’Empire, exprimant par là sa propre réprobation devant le luxe, source de corruption des mœurs au 18e siècle. La prosopopée relève du discours car elle présente toujours les marques d’une énonciation : « Romains, hâtez-vous de renverser ces amphithéâtres » (Rousseau, Discours sur les sciences et les arts) ; les marques du discours confèrent à la prosopopée un fort pouvoir de dramatisation. Elle sert généralement un projet argumentatif et permet également de faire entendre l’autorité d’une voix favorable ou opposée à la thèse soutenue : ainsi la prosopopée de la Nature dans La Maison du berger permet à Vigny d’opposer l’insensibilité hautaine de la nature à la fragilité humaine. Baudelaire utilise la prosopopée dans un registre plus familier : « Je suis la pipe d’un auteur » (Les Fleurs du mal), voire parodique.      

  • Quintil : du latin quintus, « cinq ». Strophe de cinq vers comportant le plus souvent trois rimes féminines et deux rimes masculines, ou inversement, selon un schéma variable. Le quintil est isométrique ou hétérométrique. 

 

  • Rejet : si la phrase grammaticale n’est pas terminée à a la rime, l’élément manquant est rejeté au début du vers suivant. L’élément rejeté et précédé par un relâchement de la voix qui le met en évidence. La différence avec l’enjambement (voir supra) est que l’élément rejeté est plus long dans ce cas.  

 

  • Rythme (également employé en prose) : binaire (sur deux tons, adapté à l’antithèse et aux oppositions), ternaire ((sur trois tons, envolée lyrique, rythme de la poésie élégiaque), progressif (amplification croissante du volume syllabique.  

 

  • Rondeau : de rondel, danse médiévale (du matin rotundus, « rond »). Poème médiéval à forme fixe, fondé sur la répétition et associé à l’origine à la ronde, danse en cercle.

« Le temps a laissé son manteau

De vent, de froidure et de pluie,

Et s’est vêtu de broderie,

De soleil luisant, clair et beau.

*

Il n’y a bête ni oiseau

Qu’en son jargon ne chante ou crie :

« Le temps a laissé son manteau

De vent, de froidure et de pluie. »

*

Rivière, fontaine et ruisseau

Portent, en livrée jolie,

Gouttes d’argent d’orfèvrerie ;

Chacun s’habille de nouveau :

Le temps a laissé son manteau. »

(Charles d’Orléans, « Le Printemps »)

 

  • Stichomythie : du grec stikkos, « vers » et muthos, « parole. Au théâtre, succession de courtes répliques entre deux personnages comprenant chacune un vers ou un hémistiche (en prose, une courte phrase ou un syntagme). Exemple :

Philinte

Qu’est-ce donc ? Qu’avez-vous ?

Alceste

Laissez-moi, je vous prie.

Philinte

Mais encor dites-moi quelle bizarrerie…

Alceste

Laissez-moi là, vous dis-je, et courez vous cacher.

Philinte

Mais on entend au moins les gens sans se fâcher.

Alceste

Moi je veux me fâcher, et ne veux point entendre. »

(Molière, Le Misanthrope, I,1)

  • Synérèse : on compte pour une seule syllabe deux sons qui se prononcent séparément dans le langage courant. C’est donc l’inverse de la diérèse.

 

  • Remarque sur le sonnet : on distingue le sonnet marotique, dit aussi « à l’italienne » (abba, abba, ccd, eed) et le sonnet de Ronsard « à la française » (abbaa, abba, ccd, ede).

 

  • Verset : définition difficile ; court paragraphe imité de l’Ancien Testament. Il est action dans la mesure où il restitue le souffle. Tentative de définition : « On appelle verset toute unité de discours poétique délimitée par un alinéa et que son étendue empêche d’être globalement perceptible comme vers. 
  •  Zeugme (ou zeugma) : du grec zeugma, « joug ». Mise sur le même plan (sur le même attelage), par coordination ou juxtaposition, d’éléments dissemblables sur le plan syntaxique ou sémantique. On parle de zeugme syntaxique lorsque les membres reliés n’ont pas la même nature grammaticale. Exemple : « Ils savent compter l’heure et que la terre est ronde ». (Musset)

   Le zeugme sémantique rapproche deux mots pris l’un au sens propre et l’autre au sens figuré, ou un terme concret et un terme abstrait. Exemple : « Vêtu de probité candide et de lin blanc » (Hugo, « Booz endormi », La Légende des siècles).

 

Sources : La Littérature française de A à Z, sous la direction de Claude Eterstein, Hatier, 2011. 

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Date de dernière mise à jour : 09/09/2021