« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Programme Bac 2025 (Année scolaire 2024-2025)

Prenons de l'avance !

2025

Objet d’étude pour lequel les œuvres sont renouvelées


Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle

Le Menteur

Femmes dans Le Menteur (Corneille)

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L'apologie du théâtre : réflexion

   Pourquoi peut-on considérer Le Menteur comme une seconde Illusion comique, c'est-à-dire une pièce célébrant les prestiges du théâtre ? Pourquoi les trois menteurs de Corneille - Matamore, Alodor, Dorante - ne peuvent-ils être que des héros de théâtre ?

*

Le Menteur 

   La pièce est imitée d’une comédie espagnole, La Vérité suspecte d’Alarcon. Il s’agit d’un jeune homme qui ment par jeu, par plaisir, par vanité aussi ; il ment pour échapper à un mariage voulu par son père ; enfin, après le plus troublants imbroglios, il épouse la jeune fille qu’il aime.

   Corneille, tout en imitant Alarcon, fait prévaloir l’analyse morale sur la complication de l’intrigue ; il a notamment donné un caractère tout à fait cornélien à la grande scène de la semonce paternelle, la retardant, la préparant, la faisant éclater d’une manière plus morale et plus dramatique.

   La pièce n’a beau être qu’une comédie amusante, elle n’en présente pas moins deux grands caractères : le jeune homme impatient, l’enfant terrible et séduisant, fantaisiste et virtuose du mensonge ; et le père, sorte de Don Diègue par la passion paternelle et le sentiment de l’honneur.

   Notons aussi le remarquable ton du dialogue, qui reproduit exactement la conversation de la bonne société du temps et la verve constante du style. Pour toutes ces raisons, Molière a pu dire qu’il avait appris là comment parlaient les « honnêtes gens » et comment une comédie de mœurs ou de caractère (en somme une comédie sérieuse) mérite qu’on s’y applique, de préférence à une pure comédie d’intrigue.

   Lorsque Corneille fait jouer Le Menteur en 1644 (auquel il donnera une suite en 1645), il était déjà « le grand Corneille », l’auteur du Cid, d’Horace, de Cinna et de Polyeucte. Mais cette pièce relève de son premier théâtre, renouant avec le genre de la comédie et le ton comique.

On peut s’attarder sur cet extrait (Acte I, scène 6) :

DORANTE, CLITON.

CLITON.

Monsieur, puis-je à présent parler sans vous déplaire ?

DORANTE.

Je remets à ton choix de parler ou te taire ;

Mais quand tu vois quelqu’un ne fais plus l’insolent.

CLITON.

Votre ordinaire est-il de rêver en parlant ?

DORANTE.

Où me vois-tu rêver ?

CLITON.

J’appelle rêveries

Ce qu’en d’autres qu’un maître on nomme menteries ;

Je parle avec respect.

DORANTE.

Pauvre esprit !

CLITON.

Je le perds

Quand je vous ois[1] parler de guerre et de concerts.

Vous voyez sans péril nos batailles dernières,

Et faites des festins qui ne vous coûtent guères.

Pourquoi depuis un an vous feindre de retour ?

DORANTE.

J’en montre plus de flamme, et j’en fais mieux ma cour.

CLITON.

Qu’a de propre la guerre à montrer votre flamme ?

DORANTE.

Oh ! le beau compliment à charmer une dame

De lui dire d’abord : « J’apporte à vos beautés

Un cœur nouveau venu des universités ;

Si vous avez besoin de lois et de rubriques,

Je sais le Code entier avec les Authentiques,

Le Digeste nouveau, le vieux, l’Infortiat,

Ce qu’en a dit Jason, Balde, Accurse, Alciat[2] ! »

Qu’un si riche discours nous rend considérables !

Qu’on amollit par là de cœurs inexorables !

Qu’un homme à paragraphe[3] est un joli galant !

 On s’introduit bien mieux à titre de vaillant :

Tout le secret ne gît qu’en un peu de grimace,

À mentir à propos, jurer de bonne grâce,

Étaler force mots qu’elles n’entendent pas,

Faire sonner Lamboy, Jean de Vert, et Galas[4],

Nommer quelques châteaux de qui les noms barbares

Plus ils blessent l’oreille, et plus leur semblent rares,

Avoir toujours en bouche angles, lignes, fossés,

Vedette[5], contrescarpe[6], et travaux avancés :

Sans ordre et sans raison, n’importe, on les étonne ;

On leur fait admirer les bayes qu’on leur donne[7],

Et tel, à la faveur d’un semblable débit,

Passe pour homme illustre, et se met en crédit.

CLITON.

À qui vous veut ouïr, vous en faites bien croire.

Mais celle-ci bientôt peut savoir votre histoire.

DORANTE.

J’aurai déjà gagné chez elle quelques accès ;

Et loin d’en redouter un malheureux succès,

Si jamais un fâcheux nous nuit par sa présence,

350Nous pourrons sous ces mots être d’intelligence.

Voilà traiter l’amour, Cliton, et comme il faut.

CLITON.

À vous dire le vrai, je tombe de bien haut.

Mais parlons du festin : Urgande et Mélusine[8]

N’ont jamais sur-le-champ mieux fourni leur cuisine ;

Vous allez au-delà de leurs enchantements :

Vous seriez un grand maître à faire des romans ;

Ayant si bien en main le festin et la guerre,

Vos gens en moins de rien courroient toute la terre :

Et ce seroit pour vous des travaux fort légers

360Que d’y mêler partout la pompe et les dangers.

Ces hautes fictions vous sont bien naturelles.

DORANTE.

J’aime à braver ainsi les conteurs de nouvelles ;

Et sitôt que j’en vois quelqu’un s’imaginer

Que ce qu’il veut m’apprendre a de quoi m’étonner,

Je le sers aussitôt d’un conte imaginaire,

Qui l’étonne lui-même, et le force à se taire.

Si tu pouvois savoir quel plaisir on a lors

De leur faire rentrer leurs nouvelles au corps…

CLITON.

Je le juge assez grand ; mais enfin ces pratiques

370Vous peuvent engager en de fâcheux intriques[9].

DORANTE.

Nous nous en tirerons ; mais tous ces vains discours

M’empêchent de chercher l’objet de mes amours :

Tâchons de le rejoindre, et sache qu’à me suivre

Je t’apprendrai bientôt d’autres façons de vivre.

FIN DU PREMIER ACTE.

Pistes de lecture

1/ Qu’est-ce que le mensonge ? (vers 1 à 11)

Opposez, termes à termes, les points de vue respectifs du valet Cliton et de Dorante, son maître ; en quoi le dialogue prête-t-il à sourire ?

2/ Pourquoi mentir ? (vers 12-36)

Que recherche au fond Dorante dans l’exercice de son mensonge ? Qu’est-ce qui justifie qu’on ait pu voir dans le personnage une réincarnation amusante de Rodrigue ou d’Horace ? Etudier l’habile rhétorique du beau parleur dans cette tirade.     

3/ Mensonge et poésie (vers 77-66)

   Comment l’art de mentir finit-il par se confondre avec celui de l’écrivain et comment Dorante, à sa manière, à devenir un homme de théâtre ou un metteur en scène ? Que signifie l’ambiguïté des sentiments de Cliton devant les théories de son maître ?  


[1] Entends.

[2] Ouvrages de jurisprudence et juristes renommés.

[3] Celui qui se plonge dans les textes minutieux des textes de lois.

[4] Généraux au service de l’empereur (ce serait à la guerre franco-allemande que ce serait illustré le menteur !).

[5] Petite tourelle sur un rempart, destinée aux sentinelles.

[6] Mur extérieur d’un fossé.

[7] Raconter des blagues (cf. bayer ou béer).

[8] Fées célèbres dans les romans du Moyen Age.

[9] Mot masculin employé à l’époque conjointement avec le féminin intrigue.

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Date de dernière mise à jour : 26/03/2024