« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

La Bruyère 2021-2022

Toujours au Bac en 2023 et en 2024

Parcours

- Jeux de rôles, hiérachies et pouvoirs -

(La Comédie sociale) 

(Livres V à X)

Ces deux articles peuvent vous aider :

 

Généralités

   Cette œuvre compte 1200 éléments (maximes, réflexions, portraits...) qui prennent place dans 16 chapitres. Les chapitres V à X qui nous occupent sont les suivants : 

V. De la Société et de la conversation (69 éléments)           

VI. Des biens de fortune (83 éléments)  

VII. De la Ville (22 éléments)

VIII. De la Cour (101 éléments)  

IX. Des Grands (56 éléments)  

X. Du Souverain ou de la République (35 éléments)  

   Il s’agit donc ici de la peinture des mœurs (chapitre V) et des idées sociales et politiques (les autres chapitres), en liaison avec le parcours de lecture du programme 

   Pour consolider notre connaissance de La Bruyère, nous pouvons nous intéresser également aux chapitres suivants :  

Préface

I. Des ouvrages de l'esprit

II. Du mérite personnel

III. Des femmes

IV. Du cœur

XI. De l’Homme

XII. Des Jugements

XIII. De la Mode

XIV. De Quelques Usages

XV. De la Chaire

XVI. Des Esprits forts

   Ces remarques préliminaires semblent nécessaires car La Bruyère ne fait pas de synthèse. Les Caractères offre une série d’aspects de l’homme et de la société, mais sans thèse d’ensemble. Il groupe les chapitres selon certaines affinités mais leur ordre ne correspond pas à un plan d’ensemble. La succession souvent capricieuse des paragraphes à l’intérieur des chapitres relève avant tout du souci de piquer la curiosité et d’éviter la monotonie.

   Taine écrit d’ailleurs à ce propos : « Son talent consiste principalement dans l’art d’attirer l’attention. Il ressemble à un homme qui viendrait arrêter les passants dans la rue, les saisirait au collet, leur ferait oublier leurs affaires et leurs plaisirs, les forcerait à regarder à leurs pieds, à voir ce qu’ils ne voyaient pas ou ne voulaient pas voit, et ne leur permettrait d’avancer qu’après avoir gravé l’objet d’une manière ineffaçable dans leur mémoire étonnée. »  

   Notons enfin que la première édition, qui date de 1688, contient 420 « remarques[1] » et la neuvième en 1696, 1 120. Surtout, dès la quatrième édition, elles sont enrichies de portraits.    


[1] C’est La Bruyère lui-même qui nomme ses fragments « remarques », dont la longueur varie, de la maxime jusqu’à la remarque de plusieurs pages.   

Les idées sociales et politiques

   La Bruyère est un moraliste et non un doctrinaire ou un révolutionnaire. Sa critique de l’organisation politique et sociale du temps relève de son expérience personnelle et d’une indignation généreuse. Pourtant, sa hardiesse est grande et sans inaugurer encore la critique rationaliste des institutions, il lui ouvre la voie en mettant la logique et l’ironie au service de ses sentiments de justice et d’humanité. 

1/ La critique sociale

    La Bruyère a souffert du dédain des grands seigneurs et des parvenus et leur rend mépris pour mépris : « Les gens d’esprit méprisent les grands qui n’ont que de la grandeur » (IX, 12).

   Il condamne avant tout le règne de l’argent ; les régimes politique sont beau se succéder, sa critique conserve toute son actualité. L’argent tient lieu de mérite, de noblesse et d’esprit. Giton, le riche peut tout se permettre : il est sans-gêne, méprisant, égoïste. La passion de l’argent faits disparaître tous les sentiments humains (VI, 58). Mais les fortunes nées de la spéculation d’effondrent parfois aussi vite qu’elles se sont édifiées ; tel « partisan » dont l’insolence nous blessait hier sera peut-être retombé demain dans le néant d’où il était sorti (VI, 14)

   En ce qui concerne l’inégalité, le luxe et l’égoïsme des riches sont particulièrement scandaleux si l’on songe à la misère qui accable le peuple (VI). Les paysans qui font vivre la nation n’ont pas de quoi se nourrit. C’est ici que la Bruyère va la plus loin : plus d’ironie, mais un registre pathétique. Que penser d’une organisation sociale qui permet de tels abus ?   

2/ La critique politique 

   * le pouvoir souverain : dans l’ensemble, sa critique politique est moins violente que sa critique sociale. Il ne pouvait en être autrement en ce temps. Pourtant, La Bruyère remet en question la conception du pouvoir monarchique : la personne du prince n’est pas souveraine aux lois, qui a des comptes à rendre non seulement à Dieu après sa mort mais également aux hommes de son vivant (X). Bel idéal, juste et modéré que l’auteur présente d’une façon un peu utopique peut-être mais qui s’oppose nettement à la pratique du bon plaisir et à la théorie du droit divin.

   * la guerre : en cette fin du 17e siècle, la France est lasse des combats, si glorieux soient-ils. La Bruyère s’indigne de la sauvagerie et de l’absurdité de la guerre. Il est aisé de lire entre les lignes un conseil et un reproche à Louis XIV qui affirma d’ailleurs, avant de mourir, qu’il avait trop aimé la guerre.  

   * la torture : il proteste, avant les philosophes du 18e siècle, contre la barbarie de la procédure criminelle. 

De la société et de la conversation

Acis (V. De la société et de la conversation, § 7)

   Acis pense fort peu et tente de donner l’illusion de la profondeur en employant un langage recherché et sibyllin. La Bruyère le prend à partie, comme Molière qui raillait les Précieuses : cette affectation est un signe de sottise et de vanité ; rien ne vaut la simplicité et le naturel. Notons la vivacité étonnante de ce dialogue fictif.  

   « Que dites-vous ? Comment ? Je n’y suis pas ; vous plairait-il de recommencer ? J’y suis encore moins. Je devine enfin : vous voulez, Acis, me dire qu’il fait froid ; que ne disiez-vous : "Il fait froid" ? Vous voulez m’apprendre qu’il pleut ou qu’il neige ; dites : "Il pleut, il neige." Vous me trouvez bon visage, et vous désirez de m’en féliciter ; dites : "Je vous trouve bon visage."

— Mais, répondez-vous, cela est bien uni[1] et bien clair ; et d’ailleurs qui ne pourrait pas en dire autant ? — Qu’importe, Acis ? Est-ce un si grand mal d’être entendu quand on parle, et de parler comme tout le monde ? Une chose vous manque, Acis, à vous et à vos semblables les diseurs de phébus[2] ; vous ne vous en défiez[3] point, et je vais vous jeter dans l’étonnement[4] : une chose vous manque, c’est l’esprit. Ce n’est pas tout : il y a en vous une chose de trop, qui est l’opinion d’en avoir plus que les autres ; voilà la source de votre pompeux galimatias, de vos phrases embrouillées, et de vos grands mots qui ne signifient rien. Vous abordez cet homme, ou vous entrez dans cette chambre[5] ; je vous tire par votre habit, et vous dis à l’oreille : "Ne songez point à avoir de l’esprit, n’en ayez point, c’est votre rôle ; ayez, si vous pouvez, un langage simple, et tel que l’ont ceux en qui vous ne trouvez aucun esprit peut-être alors croira-t-on que vous en avez." »

Remarque : On pense à Boileau : « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement. » Le défaut d’Acis est anticlassique. La Bruyère le dit ailleurs : « Un bon auteur et qui écrit avec soin, éprouve souvent que l’expression qu’il cherchait depuis longtemps sans la connaître, et qu’il a enfin trouvée est celle qui était la plus simple, la plus naturelle, qui semblait devoir se présenter d’abord et sans effort. » (I, 17) 

Arrias (V. § 9)

   Bavard et hâbleur, Arrias se rend insupportable en société. Il est le contraire d’un « honnête homme ». Convaincu publiquement de mensonge, conservera-t-il son assurance imperturbable ? La Bruyère est trop habile pour ajouter le moindre commentaire au récit de cette mésaventure. À nous d’imaginer l’attitude du personnage.

   « Arrias a tout lu, a tout vu, il veut le persuader ainsi ; c’est un homme universel, et il se donne pour tel : il aime mieux mentir que de se taire ou de paraître ignorer quelque chose. On parle à la table d’un grand d’une cour du Nord : il prend la parole, et l’ôte à ceux qui allaient dire ce qu’ils en savent ; il s’oriente dans cette région lointaine comme s’il en était originaire ; il discourt des mœurs de cette cour, des femmes du pays, de ses lois et de ses coutumes ; il récite des historiettes qui y sont arrivées ; il les trouve plaisantes, et il en rit le premier jusqu’à éclater[6]. Quelqu’un se hasarde[7] de le contredire, et lui prouve nettement qu’il dit des choses qui ne sont pas vraies. Arrias ne se trouble point, prend feu au contraire contre l’interrupteur : "Je n’avance, lui dit-il, je raconte rien que je ne sache d’original[8] : je l’ai appris de Sethon, ambassadeur de France dans cette cour, revenu à Paris depuis quelques jours, que je connais familièrement, que j’ai fort interrogé, et qui ne m’a caché aucune circonstance." Il reprenait le fil de sa narration avec plus de confiance qu’il ne l’avait commencée, lorsque l’un des conviés lui dit : "C’est Sethon à qui vous parlez, lui-même, et qui arrive de son ambassade[9]." »

Remarques

-  Distinguer les trois scènes de cette petite comédie. De quelle manière La Bruyère éveille-t-il et soutient-il l’intérêt ? Caractériser le dénouement.

- On peut esquisser le portrait moral d’Arrias et se demander somment l’auteur souligne son désir de briller, sa fatuité et son sans-gêne. De quelle manière nous met-il en garde contre Arrias ?  

- Quel est le cadre de l’anecdote ? On peut imaginer, tant ce récit est vivant, les jeux de physionomie et les attitudes des autres personnages.

- Variété du rythme, qui s’adapte aux idées.


[1] Plat, banal.

[2] Langage obscur et affecté (cf. « pompeux galimatias » plus bas). Les oracles de Phébus Apollon étaient difficiles à comprendre.

[3] Doutez. 

[4] Sens fort : stupéfaction.

[5] Il s’agit d’une visite.

[6] Il ne se conduit pas en homme bien élevé.

[7] Terme bien choisi. En quoi ?

[8] De source directe.

[9] Cette mésaventure serait arrivée à un contemporain de La Bruyère.

Des biens de la fortune

L’argent

   Dans le chapitre VI « Des biens de la fortune », La Bruyère dénonce le scandaleux pouvoir de l’argent. Considération, égards, noblesse, les financiers enrichis peuvent tout acquérir en y mettant le prix. Ironie d’abord, puis indignation véhémente.

13. « N’envions point à une sorte de gens[1] leurs grandes richesses ; ils les ont à titre onéreux[2], et qui ne nous accommoderait point : ils ont mis leur repos, leur santé, leur honneur et leur conscience pour les avoir ; cela est trop cher, et il n’y a rien à gagner à un tel marché.

14. Les P. T. S. nous font sentir toutes les passions l’une après l’autre : l’on commence par le mépris, à cause de leur obscurité[3] ; on les envie ensuite, on les hait, on les craint, on les estime quelquefois, et on les respecte ; l’on vit assez pour finir à leur égard par la compassion[4].

15. Sosie[5], de la livrée a passé par une petite recette[6] à une sous-ferme[7] ; et par les concussions[8], la violence, et l’abus qu’il a fait de ses pouvoirs, il s’est enfin, sur les ruines de plusieurs familles, élevé à quelque grade. Devenu noble par une charge, il ne lui manquait que d’être homme de bien : une place de marguillier[9] a fait ce prodige.

16. Arfure cheminait seule et à pied vers le grand portique de Saint***, entendait de loin le sermon d’un carme ou d’un docteur[10] qu’elle ne voyait qu’obliquement, et dont elle perdait bien des paroles. Sa vertu était obscure[11], et sa dévotion connue comme[12] sa personne. Son mari est entré dans le huitième denier[13] : quelle monstrueuse fortune en moins de six années ! Elle n’arrive à l’église que dans un char[14] ; on lui porte une lourde queue[15] ; l’orateur s’interrompt pendant qu’elle se place ; elle le voit de front, n’en perd pas une seule parole ni le moindre geste. Il y a une brigue entre les prêtres pour la confesser ; tous veulent l’absoudre, et le curé l’emporte.

17. L’on porte Crésus au cimetière : de toutes ses immenses richesses, que le vol et la concussion lui avaient acquises, et qu’il a épuisées par le luxe et par la bonne chère, il ne lui est pas demeuré de quoi se faire enterrer ; il est mort insolvable, sans biens, et ainsi privé de tous les secours ; l’on n’a vu chez lui ni julep, ni cordiaux, ni médecins, ni le moindre docteur qui l’ait assuré de son salut.

18. Champagne[16], au sortir d’un long dîner qui lui enfle l’estomac, et dans les douces fumées d’un vin d’Avenay ou de Sillery[17], signe un ordre qu’on lui présente, qui ôterait le pain à toute une province si l’on n’y remédiait. Il est excusable : quel moyen de comprendre, dans la première heure de la digestion, qu’on puisse quelque part mourir de faim ?

19. Sylvain de ses deniers acquis de la naissance[18] et un autre nom : il est seigneur de la paroisse où ses aïeuls payaient la taille[19] ; il n’aurait pu autrefois entrer page[20] chez Cléobule, et il est son gendre.

20. Dorus passe en litière par la voie Appienne, précédé de ses affranchis et de ses esclaves, qui détournent le peuple et font faire place ; il ne lui manque que des licteurs ; il entre à Rome avec ce cortège, où il semble triompher de la bassesse et de la pauvreté de son père Sanga.

58. Il y a des âmes sales, pétries de boue et d’ordure, éprises du gain et de l’intérêt, comme les belles âmes le sont de la gloire et de la vertu ; capables d’une seule volupté, qui est celle d’acquérir ou de ne point perdre ; curieuses et avides du denier dix ; uniquement occupées de leurs débiteurs ; toujours inquiètes sur le rabais ou sur le décri des monnaies ; enfoncées et comme abîmées dans les contrats, les titres et les parchemins. De telles gens ne sont ni parents, ni amis, ni citoyens, ni chrétiens, ni peut-être des hommes : ils ont de l’argent. »

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Giton et Phédon (VI, 83) - ou Le riche et le pauvre –

Giton a le teint frais, le visage plein et les joues pendantes, l’œil fixe et assuré, les épaules larges, l’estomac haut[21], la démarche ferme et délibérée[22]. Il parle avec confiance ; il fait répéter celui qui l’entretient, et il ne goûte que médiocrement[23] tout ce qu’il lui dit. Il déploie un ample mouchoir, et se mouche avec grand bruit ; il crache[24] fort loin, et il éternue fort haut. Il dort le jour, il dort la nuit, et profondément ; il ronfle en compagnie. Il occupe à table et à la promenade plus de place qu’un autre. Il tient le milieu[25] en se promenant avec ses égaux ; il s’arrête, et l’on s’arrête ; il continue de marcher, et l’on marche : tous se règlent sur lui. Il interrompt, il redresse[26] ceux qui ont la parole : on ne l’interrompt pas, on l’écoute aussi longtemps qu’il veut parler ; on est de son avis, on croit les nouvelles qu’il débite. S’il s’assied, vous le voyez s’enfoncer dans un fauteuil, croiser les jambes l’une sur l’autre, froncer le sourcil, abaisser son chapeau[27] sur ses yeux pour ne voir personne, ou le relever ensuite, et découvrir son front par fierté et par audace. Il est enjoué, grand rieur, impatient, présomptueux, colère, libertin, politique[28], mystérieux sur les affaires du temps ; il se croit des talents et de l’esprit. Il est riche.

   Phédon a les yeux creux, le teint échauffé[29], le corps sec et le visage maigre ; il dort peu, et d’un sommeil fort léger ; il est abstrait[30], rêveur[31], et il a avec de l’esprit l’air d’un stupide : il oublie de dire ce qu’il sait, ou de parler d’événements qui lui sont connus ; et s’il le fait quelquefois, il s’en tire mal, il croit peser à ceux à qui il parle, il conte brièvement, mais froidement[32] ; il ne se fait pas écouter, il ne fait point rire. Il applaudit, il sourit à ce que les autres lui disent, il est de leur avis ; il court, il vole pour leur rendre de petits services. Il est complaisant, flatteur, empressé ; il est mystérieux sur ses affaires, quelquefois menteur ; il est superstitieux, scrupuleux, timide. Il marche doucement et légèrement, il semble craindre de fouler la terre ; il marche les yeux baissés, et il n’ose les lever sur ceux qui passent. Il n’est jamais du nombre de ceux qui forment un cercle pour discourir ; il se met derrière celui qui parle, recueille furtivement ce qui se dit, et il se retire si on le regarde. Il n’occupe point de lieu, il ne tient point de place[33] ; il va les épaules serrées, le chapeau abaissé sur ses yeux pour n’être point vu ; il se replie et se renferme dans son manteau ; il n’y a point de rues ni de galeries si embarrassées[34] et si remplies de monde, où il ne trouve moyen de passer sans effort, et de se couler sans être aperçu. Si on le prie de s’asseoir, il se met à peine sur le bord d’un siège ; il parle bas dans la conversation, et il articule mal ; libre néanmoins sur les affaires publiques, chagrin contre le siècle, médiocrement prévenu des ministres et du ministère. Il n’ouvre la bouche que pour répondre ; il tousse, il se mouche sous son chapeau, il crache presque sur soi, et il attend qu’il soit seul pour éternuer, ou, si cela lui arrive, c’est à l’insu de la compagnie : il n’en coûte à personne ni salut ni compliment. Il est pauvre.

Pistes de réflexion

Deux portraits à la fois superposables et antinomiques.

Technique : impressionnisme, pointillisme.

Rhétorique nouvelle, qui a choqué ses contemporains. 

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Injustice sociale (VI, §47)

   ll y a des misères sur la terre qui saisissent le cœur ; il manque à quelques-uns jusqu’aux aliments ; ils redoutent l’hiver, ils appréhendent de vivre. L’on mange ailleurs des fruits précoces ; l’on force la terre et les saisons pour fournir à sa délicatesse ; de simples bourgeois, seulement à cause qu’ils étaient riches, ont eu l’audace d’avaler en un seul morceau la nourriture de cent familles. Tienne qui voudra contre de si grandes extrémités : je ne veux être, si je le puis, ni malheureux ni heureux ; je me jette et me réfugie dans la médiocrité[35].


[1] Les partisans (P.T.S.), qui prenaient à ferme le recouvrement des impôts. 

[2] La Bruyère joue sur ce terme juridique qui s’oppose à : à titre gratuit.

[3] Ce sont généralement des parvenus.

[4] Quand ils sont ruinés.

[5] Nom d’esclave dans la comédie latine. 

[6] Emploi de receveur des impôts.

[7] Un fermier général déléguait ses pouvoirs à de sous-fermiers.

[8] Gains illicites.

[9] Membre d’un conseil paroissial.

[10] En théologie.

[11] Passait inaperçue.

[12] Aussi peu.

[13] Dans la ferme du huitième denier, impôt payé par les acquéreurs de biens ecclésiastiques. 

[14] Un carrosse particulièrement somptueux.

[15] Traîne. 

[16] Nom de laquais.

[17] Crus de Champagne.

[18] Un titre de noblesse. Mais l’alliance des mots souligne l’absurdité de la chose.

[19] Impôt qui ne frappait que les roturiers.

[20] Parce qu’il n’était pas noble.

[21] La poitrine bombée.

[22] Résolue.

[23] Moyennement.

[24] À l’époque, ce n’est pas l’acte même qui est répréhensible mais le sans-gêne dont il s’accompagne. (cf. Phédon).

[25] Cf. tenir le haut du pavé.

[26] Corrige.

[27] À l’époque, on pouvait rester couvert dans un salon, sauf devant les dames et le roi.

[28] « Qui sait arriver à son but et s’accommoder au temps. » (Dictionnaire de l’Académie).

[29] Rougeurs et boutons.

[30] Absorbé, distrait.

[31] Préoccupé.

[32] De façon ennuyeuse.

[33] Hyperboles expressives.

[34] Encombrées.

[35] Condition moyenne.

De la Cour (VIII, § 74)

   La Bruyère feint de décrire les mœurs curieuses et absurdes de quelque peuplade sauvage ; ce n’est pas nous, Français civilisés du 17e siècle, qui donnerions dans de pareilles absurdités ! Ce procédé de fiction ironique sera souvent repris au 18e siècle par Montesquieu (Lettres persanes), Voltaire (Micromégas, L’Ingénu).

   « L’on parle d’une région où les vieillards sont galants, polis et civils ; les jeunes gens au contraire, durs, féroces, sans mœurs ni politesse[1] : ils se trouvent affranchis de la passion des femmes dans un âge où l’on commence ailleurs à la sentir ; ils leur préfèrent des repas, des viandes, et des amours ridicules. Celui-là chez eux est sobre et modéré, qui ne s’enivre que de vin : l’usage trop fréquent qu’ils en ont fait le leur a rendu insipide ; ils cherchent à réveiller leur goût déjà éteint par des eaux-de-vie, et par toutes les liqueurs les plus violentes ; il ne manque à leur débauche que de boire de l’eau-forte. Les femmes du pays précipitent le déclin de leur beauté par des artifices qu’elles croient servir à les rendre belles : leur coutume est de peindre leurs lèvres, leurs joues, leurs sourcils et leurs épaules, qu’elles étalent avec leur gorge, leurs bras et leurs oreilles, comme si elles craignaient de cacher l’endroit par où elles pourraient plaire, ou de ne pas se montrer assez. Ceux qui habitent cette contrée ont une physionomie qui n’est pas nette, mais confuse, embarrassée dans une épaisseur de cheveux étrangers, qu’ils préfèrent aux naturels et dont ils font un long tissu pour couvrir leur tête : il descend à la moitié du corps, change les traits, et empêche qu’on ne connaisse les hommes à leur visage. Ces peuples d’ailleurs ont leur Dieu et leur roi : les grands de la nation s’assemblent tous les jours, à une certaine heure, dans un temple qu’ils nomment église[2] ; il y a au fond de ce temple un autel consacré à leur Dieu, où un prêtre célèbre des mystères qu’ils appellent saints, sacrés et redoutables ; les grands forment un vaste cercle au pied de cet autel, et paraissent debout, le dos tourné directement au prêtre et aux saints mystères, et les faces élevées vers leur roi, que l’on voit à genoux sur une tribune, et à qui ils semblent avoir tout l’esprit et tout le cœur appliqués. On ne laisse pas de voir dans cet usage une espèce de subordination ; car ce peuple paraît adorer le prince, et le prince adorer Dieu. Les gens du pays le nomment*** ; il est à quelque quarante-huit degrés d’élévation du pôle, et à plus d’onze cents lieues de mer des Iroquois et des Hurons. »

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2. Un homme qui sait la cour est maître de son geste, de ses yeux et de son visage ; il est profond, impénétrable ; il dissimule les mauvais offices, sourit à ses ennemis, contraint son humeur, déguise ses passions, dément son cœur, parle, agit contre ses sentiments. Tout ce grand raffinement n’est qu’un vice, que l’on appelle fausseté, quelquefois aussi inutile au courtisan pour sa fortune, que la franchise, la sincérité et la vertu. 


[1] Cf. La Rochefoucauld : « La plupart des jeunes gens croient être naturels, lorsqu’ils ne sont que mal polis et grossiers. »

[2] La chapelle de Versailles.

Des Grands

Rappel : La Bruyère a bien déclaré : « Un homme né chrétien et Français se trouve contraint dans la satire : les grands sujets lui sont défendus.» Il n’en a pas moins critiqué très librement les conditions et les institutions sociales. Il constate avec une ironie mordante que la place des grands dans l’État n’est en rapport ni avec leur valeur intellectuelle ni avec leur valeur morale, et remarque même en passant que l’antiquité de leurs titres de noblesse est toute relative. On peut lui accorder ici des tendances plus ou moins révolutionnaires.  

Extraits

   *« L’avantage des grands sur les autres hommes est immense par un endroit : je leur cède leur bonne chère, leurs riches ameublements, leurs chiens, leurs chevaux, leurs singes, leurs nains[1], leurs fous et leurs flatteurs ; mais je leur envie le bonheur d’avoir à leur service des gens qui les égalent par le cœur et par l’esprit, et qui les passent quelquefois. »  

   * « Les grands se piquent d’ouvrir une allée dans une forêt, de soutenir des terres par de longues murailles, de dorer des plafonds, de faire venir dix pouces d’eau, de meubler une orangerie[2] ; mais de rendre un cœur content, de combler une âme de joie, de prévenir d’extrêmes besoins ou d’y remédier, leur curiosité[3] ne s’étend point jusque-là.

   * « Les grands croient être seuls parfaits, n’admettant qu’à peine[4] dans les autres hommes la droiture d’esprit, l’habileté, la délicatesse, et s’emparent de ces riches talents[5] comme de choses dues à leur naissance. C’est cependant en eux une erreur grossière de se nourrir de si fausses préventions : ce qu’il y a jamais eu de mieux pensé, de mieux dit, de mieux écrit, et peut-être d’une conduite plus délicate, ne nous est pas toujours venu de leur fonds. Ils ont de grands domaines et une longue suite d’ancêtres ; cela ne leur peut être contesté. »

   * « Si je compare ensemble les deux conditions des hommes les plus opposés, je veux dire les grands avec le peuple, ce dernier me paraît content du nécessaire, et les autres sont inquiets et pauvres avec le superflu. Un homme du peuple ne saurait faire aucun mal ; un grand ne veut faire aucun bien et est capable de grands maux. L’un ne se forme et ne s’exerce que dans les choses qui sont utiles ; l’autre y joint les pernicieuses. Là se montrent ingénument la grossièreté et la franchise ; ici se cache une sève maligne et corrompue sous l‘écorce de la politesse. Le peuple n’a guère d’esprit[6], et les grands n’ont point d’âme : celui-là a un bon fond et n’a point de dehors ; ceux-ci n’ont que des dehors et qu’une simple superficie[7]. Faut-il opter ? Je ne balane pas, je veux être peuple. »

   * « Les grands ne doivent point aimer les premiers temps[8] ; ils ne leur sont point favorables : il est triste pour eux d’y voir que nous sortions tous du frère et de la sœur. Les hommes composent ensemble une même famille ; il n’y a que le plus ou le moins dans le degré de parenté[9]. »  


[1] Jusqu’au 17e siècle les rois eurent à leur cour, pour les distraire, des nains et des fous ou bouffons.

[2] La garnir de plantes.

[3] Souci. 

[4] Avec peine.

[5][5] Ici, sens de qualité.

[6] Au sens général de valeur intellectuelle.

[7] Surface.

[8] L’origine de l’humanité.

[9] Cf. le refrain d’une vieille chanson anglaise du 14e siècle : « Quand Adam bêchait et qu’Ève filait, où donc était le gentilhomme ? »

Du Souverain ou de la République

(Le prince et ses sujets, X)

1. Quand l’on parcourt, sans la prévention de son pays, toutes les formes de gouvernement, l’on ne sait à laquelle se tenir : il y a dans toutes le moins bon et le moins mauvais. Ce qu’il y a de plus raisonnable et de plus sûr, c’est d’estimer celle où l’on est né la meilleure de toutes, et de s’y soumettre.

26. Tout prospère dans une monarchie où l’on confond les intérêts de l’État avec ceux du prince.

27. Nommer un roi PÈRE DU PEUPLE est moins faire son éloge que l’appeler par son nom, ou faire sa définition.

28. Il y a un commerce[1] ou un retour de devoirs du souverain à ses sujets, et de ceux-ci au souverain : quels sont les plus assujettissants et les plus pénibles, je ne le déciderai pas. Il s’agit de juger, d’un côté, entre les étroits engagements du respect, des secours, des services, de l’obéissance, de la dépendance ; et d’un autre, les obligations indispensables de bonté, de justice, de soins, de défense, de protection. Dire qu’un prince est arbitre de la vie des hommes, c’est dire seulement que les hommes par leurs crimes deviennent naturellement soumis aux lois et à la justice, dont le prince est le dépositaire[2] : ajouter qu’il est maître absolu de tous les biens de ses sujets, sans égards, sans compte ni discussion, c’est le langage de la flatterie, c’est l’opinion d’un favori qui se dédira à l’agonie.

29. Quand vous voyez quelquefois un nombreux troupeau, qui répandu sur une colline vers le déclin d’un beau jour, paît tranquillement le thym et le serpolet, ou qui broute dans une prairie une herbe menue et tendre qui a échappé à la faux du moissonneur, le berger, soigneux et attentif, est debout auprès de ses brebis ; il ne les perd pas de vue, il les suit, il les conduit, il les change de pâturage ; si elles se dispersent, il les rassemble ; si un loup avide paraît, il lâche son chien, qui le met en fuite ; il les nourrit, il les défend ; l’aurore le trouve déjà en pleine campagne, d’où il ne se retire qu’avec le soleil : quels soins ! quelle vigilance ! quelle servitude ! Quelle condition vous paraît la plus délicieuse et la plus libre, ou du berger ou des brebis ? le troupeau est-il fait pour le berger, ou le berger pour le troupeau ? Image naïve des peuples et du prince qui les gouverne, s’il est bon prince.

   Le faste et le luxe dans un souverain, c’est le berger habillé d’or et de pierreries, la houlette d’or en ses mains ; son chien a un collier d’or, il est attaché avec une laisse d’or et de soie. Que sert tant d’or à son troupeau ou contre les loups ?

30. Quelle heureuse place que celle qui fournit dans tous les instants l’occasion à un homme de faire du bien à tant de milliers d’hommes ! Quel dangereux poste que celui qui expose à tous moments un homme à nuire à un million d’hommes !

31. Si les hommes ne sont point capables sur la terre d’une joie plus naturelle, plus flatteuse et plus sensible, que de connaître qu’ils sont aimés, et si les rois sont hommes, peuvent-ils jamais trop acheter le cœur de leurs peuples ?

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(Contre la guerre) X, § 9

   La Bruyère n’aime pas la guerre. Avec une ironie indignée qui annonce Voltaire, il en dénonce le caractère atroce et absurde : elle ravale l’homme au-dessous des bêtes. Telle est la méthode des philosophes du 18e siècle qui protestent contre les abus au nom de la raison.

« La guerre a pour elle l’antiquité ; elle a été dans tous les siècles : on l’a toujours vue remplir le monde de veuves et d’orphelins, épuiser les familles d’héritiers, et faire périr les frères à une même bataille [...] De tout temps les hommes, pour quelque morceau de terre de plus ou de moins, sont convenus entre eux de se dépouiller, se brûler, se tuer, s’égorger les uns les autres ; et pour le faire plus ingénieusement et avec plus de sûreté, ils ont inventé de belles règles qu’on appelle l’art militaire ; ils ont attaché à la pratique de ces règles la gloire ou la plus solide réputation ; et ils ont depuis renchéri de siècle en siècle sur la manière de se détruire réciproquement. De l’injustice des premiers hommes, comme de son unique source, est venue la guerre, ainsi que la nécessité où ils se sont trouvés de se donner des maîtres qui fixassent leurs droits et leurs prétentions. Si, content du sien, on eût pu s’abstenir du bien de ses voisins, on avait pour toujours la paix et la liberté. »

   Le chapitre X se termine par un long portrait de Louis XIV sous forme d’éloge : en dépit de ses contestations et de ses désirs de réforme, La Bruyère appartient encore à l’âge classique, fort conservateur.  

35. Que de dons du ciel ne faut-il pas pour bien régner ! Une naissance auguste, un air d’empire et d’autorité, un visage qui remplisse la curiosité des peuples empressés de voir le prince, et qui conserve le respect dans le courtisan ; une parfaite égalité d’humeur ; un grand éloignement pour la raillerie piquante, ou assez de raison pour ne se la permettre point ; ne faire jamais ni menaces ni reproches ; ne point céder à la colère, et être toujours obéi ; l’esprit facile, insinuant ; le cœur ouvert, sincère, et dont on croit voir le fond, et ainsi très propre à se faire des amis, des créatures et des alliés ; être secret toutefois, profond et impénétrable dans ses motifs et dans ses projets ; du sérieux et de la gravité dans le public ; de la brièveté, jointe à beaucoup de justesse et de dignité, soit dans les réponses aux ambassadeurs des princes, soit dans les conseils ; une manière de faire des grâces qui est comme un second bienfait ; le choix des personnes que l’on gratifie ; le discernement des esprits, des talents, et des complexions pour la distribution des postes et des emplois ; le choix des généraux et des ministres ; un jugement ferme, solide, décisif[3] dans les affaires, qui fait que l’on connaît le meilleur parti et le plus juste ; un esprit de droiture et d’équité qui fait qu’on le suit jusques à prononcer quelquefois contre soi-même[4] en faveur du peuple, des alliés, des ennemis ; une mémoire heureuse et très présente, qui rappelle les besoins des sujets, leurs visages, leurs noms, leurs requêtes ; une vaste capacité, qui s’étende non seulement aux affaires de dehors, au commerce, aux maximes d’État, aux vues de la politique, au reculement des frontières par la conquête de nouvelles provinces, et à leur sûreté par un grand nombre de forteresses inaccessibles ; mais qui sache aussi se renfermer au dedans, et comme dans les détails de tout un royaume ; qui en bannisse un culte faux, suspect et ennemi de la souveraineté[5], s’il s’y rencontre ; qui abolisse des usages cruels et impies[6], s’ils y règnent ; qui réforme les lois et les coutumes, si elles étaient remplies d’abus[7] ; qui donne aux villes plus de sûreté et plus de commodités par le renouvellement d’une exacte police, plus d’éclat et plus de majesté par des édifices somptueux ; punir sévèrement les vices scandaleux ; donner par son autorité et par son exemple du crédit à la piété et à la vertu ; protéger l’Église, ses ministres, ses droits, ses libertés[8], ménager ses peuples comme ses enfants ; être toujours occupé de la pensée de les soulager, de rendre les subsides légers, et tels qu’ils se lèvent sur les provinces sans les appauvrir ; de grands talents pour la guerre ; être vigilant, appliqué, laborieux ; avoir des armées nombreuses, les commander en personne ; être froid[9] dans le péril, ne ménager sa vie que pour le bien de son État ; aimer le bien de son État et sa gloire plus que sa vie ; une puissance très absolue, qui ne laisse point d’occasion aux brigues, à l’intrigue et à la cabale ; qui ôte cette distance infinie qui est quelquefois entre les grands et les petits, qui les rapproche, et sous laquelle tous plient également ; une étendue de connaissance qui fait que le prince voit tout par ses yeux, qu’il agit immédiatement et par lui-même, que ses généraux ne sont, quoique éloignés de lui, que ses lieutenants, et les ministres que ses ministres[10] ; une profonde sagesse, qui sait déclarer la guerre, qui sait vaincre et user de la victoire ; qui sait faire la paix, qui sait la rompre ; qui sait quelquefois, et selon les divers intérêts, contraindre les ennemis à la recevoir ; qui donne des règles à une vaste ambition, et sait jusques où l’on doit conquérir ; au milieu d’ennemis couverts ou déclarés, se procurer le loisir des jeux, des fêtes, des spectacles ; cultiver les arts et les sciences ; former et exécuter des projets d’édifices surprenants ; un génie enfin supérieur et puissant, qui se fait aimer et révérer des siens, craindre des étrangers ; qui fait d’une cour, et même de tout un royaume, comme une seule famille, unie parfaitement sous un même chef, dont l’union et la bonne intelligence est redoutable au reste du monde : ces admirables vertus me semblent refermées dans l’idée du souverain ; il est vrai qu’il est rare de les voir réunies dans un même sujet : il faut que trop de choses concourent à la fois, l’esprit, le cœur, les dehors, le tempérament ; et il me paraît qu’un monarque qui les rassemble toutes en sa personne est bien digne du nom de Grand.

Remarque : on peut rapprocher (et comparer) cet éloge de Louis XIV de la 1ère Épître de Boileau ou de la tirade du Tartuffe (V, vers 1905-1944) : « Nous vivons sous un prince... »


[1] Échange.

[2] L’autorité des lois est supérieure à celle du prince.

[3] Prompt à décider.

[4] Allusion à un procès survenu en 1680 entre le roi et des particuliers au sujet de propriétés bâties sur des fortifications et dans lequel Louis XIV trancha lui-même en faveur des particuliers. 

[5] Allusion à la Révocation de l’Édit de Nantes. 

[6] Louis XIV interdit à plusieurs reprises le duel.

[7] De nombreuses ordonnances royales réformèrent entre 1667 et 1685 la législation (civile, commerciale, maritime).

[8] Louis XIV soutint les libertés de l’Église gallicane contre les empiètements de la Papauté.  

[9] Impassible.

[10] Sens étymologique du mot : serviteur.

Succès de l’ouvrage

   On dressa des listes de noms qui circulèrent dans Paris, des « clefs ». Elles sont souvent fausses. Mais on reconnaît aisément le Grand Condé dans Émile (génial, mais vrai et simple), Fontenelle dans Cydias (le bel esprit), Mme de Montespan dans Irène, le duc de Brancas das Ménalque (le distrait), le comte d’Aubigné (frère de Mme de Maintenon) dans Théodecte l’importun et le sans-gêne), le marquis de Dangeau dans Pamphile (le fat hautain et bruyant), et d’autres que La Bruyère a pu observer à Chantilly et à Versailles. On s’en amusa. On se fâcha aussi. M. de Malézieu (précepteur du duc du Maine, puis ordonnateur des fêtes de Sceaux, ami de Bossuet, poète et géomètre) écrit à La Bruyère dont il venait de lire l’ouvrage : « Voilà de quoi vous attirer beaucoup de lecteurs et beaucoup d’ennemis. »

Quelques sujets de dissertation ou de réflexion à commenter

   * « Le philosophe consume sa vie à observer les hommes, et il use ses esprits à en démêler les vices et le ridicule. S’il donne quelque tour à ses pensées, c’est moins par vanité d’auteur que pour mettre une vérité, qu’il a trouvée, dans tout le jour nécessaire pour faire l’impression qui doit servir à son dessein. Quelques lecteurs croient néanmoins le payer avec usure ; ils disent magistralement qu’ils ont lu son livre et qu’il y a de l’esprit, mais il leur renvoie tous leurs éloges, qu’il n’a pas cherchés par son travail et par ses veilles. Il porte plus haut ses projets et agit pour une fin plus relevée : il demande des hommes un plus grand et un plus rare succès que les louanges et même que les récompenses, qui est de les rendre meilleurs. » (Des Ouvrages de l’esprit). Montrer que l’auteur a donné ici sa propre définition du philosophe.

   * Dans la Préface des Caractères, La Bruyère déclare : « On ne doit parler, on ne doit écrire, que pour l’instruction ; et s’il arrive que l’on plaise, il ne faut pas néanmoins s’en repentir, si cela sert à insinuer et à faire recevoir les vérités qui doivent instruire. » De son côté, La Fontaine a dit : « En ces sorte de feintes, il faut instruire et plaire, / Et conter pour conter me semble peu d’affaire. » Par quels moyens différents tous deux ont-ils atteint leur but ?

   * Le caractère des nouveaux riches ou des parvenus : pourquoi Molière l’a-t-il décrit avec gaieté dans Le Bourgeois Gentilhomme, et La Bruyère si souvent avec amertume ?

   * D’Olivet portait en 1730 ce jugement sur les Caractères : « Tant qu’on a cru voir dans ce livre les portraits des hommes vivants, on l’a dévoré pour se nourrir du triste plaisir que donne la satire personnelle. Mais à mesure que ces gens-là ont disparu, il a cessé de plaire par la matière. »    

   * La Bruyère écrit dans sa Préface : « Je rends au public ce qu’il m’a prêté ; j’ai emprunté de lui la matière de cet ouvrage ; il est juste que l’ayant achevé avec toute l’attention pour la vérité dont je suis capable et qu’il mérite de moi, je lui en fasse la restitution. »

  * Y a-t-il des ressemblances entre le tableau de la société tracé par La Fontaine dans ses Fables et celui que La Bruyère donne dans ses Caractères ?   

   * La Bruyère a intitulé son ouvrage Les Caractères ou les Mœurs de ce siècle. En quoi s’applique-t-il aussi au nôtre ?

   * Voltaire écrit dans Le Siècle de Louis XIV à propos des Caractères : « Ce livre baissa dans l’esprit des hommes, quand une génération entière, attaquée dans l’ouvrage, fut passée. Cependant, comme il y a des choses de tous les temps et de tous les lieux, il est à croire qu’il ne sera jamais oublié. »

   * « Des ciselures de style n’empêchent point l’œuvre de La Bruyère d’être impitoyable et triste. » (J. Lemaître).

   * Pour quelle raison a-t-on pu considérer La Bruyère comme un précurseur des philosophes du 18e siècle ?

   * Taine écrit : « Nous avons vu dans La Bruyère un éloge du peuple, des réclamations en faveur des pauvres, une satire amère contre l’inégalité des conditions de fortune, bref les sentiments qu’on appelle aujourd’hui démocratiques. »

   * « La Bruyère était un grand peintre et n’était peut-être pas un grand philosophe. La Rochefoucauld était un philosophe et n’était peut-être pas peintre » (Vauvenargues)

   * La Bruyère, comparant ses Caractères aux Pensées de Pascal et aux Maximes de La Rochefoucauld, déclare que son livre, « moins sublime[1] que le premier et moins délicat que les second, ne tend qu’à rendre l’homme raisonnable, mais par des vues simples et communes. »

     Pensez-vous que La Bruyère n'est qu'un spectateur de la société de son temps ? Vous répondrez à cette question dans un développement organisé en vous appuyant sur Les Caractères livres V à X, sur les textes que vous avez étudiés dans le cadre du parcours associé et sur votre culture personnelle. (Sujet donné en Polynésie au Bac 2022)


[1] Le sublime désigne, au 17e siècle, le ton et le style propres aux sujets élevés.  

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Date de dernière mise à jour : 02/08/2023