« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Amitié avec Mme Récamier

Mme de Genlis âgée   Dans les Mémoires d’Outre-Tombe, Chateaubriand évoque les diverses amitiés de Mme Récamier, dont celle de Mme de Staël et de Mme de Genlis :

   « ... Madame de Genlis [1] a fait un roman sur cet attachement du prince Auguste [2]. Je la trouvai un jour dans l’ardeur de la composition. Elle demeurait à l’Arsenal, au milieu de livre poudreux dans un appartement obscur. Elle n’attendait personne ; elle était vêtue d’une robe noire ; ses cheveux blancs offusquaient son visage ; elle tenait une harpe entre ses genoux et sa tête était abattue sur sa poitrine. Appendue aux cordes de l’instrument, elle promenait deux mains pâles et amaigries sur l’autre côté du réseau sonore, dont elle tirait des sons affaiblis, semblables aux voix lointaines et indéfinissables de la mort. Que chantait l’antique sibylle ? Elle chantait madame Récamier. Elle l’avait d’abord haïe, mais dans la suite elle avait été vaincue par la beauté et le malheur. Madame de Genlis venait d’écrire cette page sur madame Récamier en lui donnant le nom d’Athénaïs :

   « Le prince entra dans le salon, conduit par madame de Staël. Tout à coup, la porte s’entrouvre, Athénaïs s’avance. A l’élégance de sa taille, à l’éclat éblouissant de sa figure, le prince ce peut la méconnaître mais il s’était fait d’elle une idée toute différente : il s’était représenté cette femme si célèbre par sa beauté, fière de ses succès, avec un maintien assuré et cette espèce de confiance que ne donne que trop souvent ce genre de célébrité ; et il voyait une jeune personne timide s’avancer avec embarras et rougir en paraissant. Le plus doux sentiment se mêla à sa surprise. Arès dîner, on ne sortit point, à cause de la chaleur excessive ; on descendit dans la galerie pour faire de la musique jusqu’à l’heure de la promenade. Après quelque accords brillants et des sons harmoniques d’une douceur enchanteresse, Athénaïs chanta en s’accompagnant sur la harpe. Le prince l’écouta avec ravissement et, lorsqu’elle eut fini, il la regarda avec un trouble inexprimable en s’écriant : « Et des talents ! ... ». 

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Notes

[1] La comtesse de Genlis (1746-1830) avait élevé les enfants du duc d’Orléans (Philippe-Égalité) ; elle écrivit d’innombrables romans.

[2] Le prince Auguste de Prusse qui tomba amoureux de Mme Récamier à Coppet et lui proposa le mariage. Chateaubriand écrit : « Croyant que madame Récamier pourrait consentir au divorce, il lui proposa de l'épouser. Il reste un monument de cette passion dans le tableau de Corinne que le prince obtint de Gérard : il en fit présent à madame Récamier comme un immortel souvenir du sentiment qu'elle lui avait inspiré, et de l'intime amitié qui unissait Corinne (Mme de Staël) et Juliette. »

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