« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Mme Geoffrin

Le salon de Mme Geoffrin

Mme Geoffrin dans sa vieillesse   Dans ses Mémoires d’un père, Marmontel évoque ce salon qui s’est ouvert à Paris en 1749 rue Saint-Honoré :

   « J’ai dit que du vivant de Mme de Tencin, Mme Geoffrin l’allait voir, et la vieille rusée pénétrait si bien le motif de ses visites qu’elle disait à ses convives : « Savez-vous ce que la Geoffrin vient faire ici ? Elle vient voir ce qu’elle recueillir de mon inventaire. » En effet, à sa mort, une partie de sa société, et ce qu’il en restait de mieux (car Fontenelle et Montesquieu ne vivaient plus) avait passé dans la société nouvelle ; mais celle-ci ne se bornait pas à cette petite colonie. Assez riche pour faire de sa maison le rendez-vous des lettres et des arts, et voyant que c’était pour elle un moyen de se donner dans sa vieillesse une amusante société et un existence honorable, Mme Geoffrin avait fondé chez elle deux dîners, l’un, le lundi pour les artistes, l’autre le mercredi pour  les gens de lettres, et une chose assez remarquable, c’est que sans aucune connaissance ni des arts , ni des lettres, cette femme qui de sa vie n’avait rien lu ni rien appris qu’à la volée, se trouvant au milieu de l’une ou l’autre société, ne leur était pout étrangère : elle y était même à son aise, mais elle avait le bon esprit de ne parler jamais que de qu’elle savait très bien, te de céder, sur tout le reste, la parole à des gens instruits, toujours poliment attentive, sans même paraitre ennuyée de que c’elle n’entendait pas, mais plus endroit encore à présider, à surveiller, à tenir sous sa main ces deux sociétés naturellement libres, à marquer les limites de cette liberté, et à l’y ramener par un mot, par un geste, comme un fil invisible lorsqu’elle voulait s’échapper : « allons, voilà qui est bien » était communément le signal de sagesse qu’elle donnait à ses convives.    

   À l’égard de son esprit, quoique uniquement cultivé par le commerce du monde, il était fin, juste, et perçant. Un goût naturel, un sens droit lui donnait en parlant le tour et le mot convenables. Elle écrivait purement, simplement et d’un style concis t clair ; mais en femme qui avait été mal élevée et qui s’en vantait. Dans un charmant éloge qu’avait fait d’elle votre oncle [Marmontel s’adresse ici à ses enfants], vous lirez qu’un abbé italien était venu lui offrit a dédicace d’une grammaire italienne et française : « À moi, offrir la dédicace d’une grammaire, à moi qui ne sais pas seulement l’orthographe ! » C’était la pure vérité. Son vrai talent était celui de bien conter ; elle y excellait, et volontiers elle en faisait usage pour égayer la table ; mais sans apprêt, sans art et sans prétention, seulement pour donner l’exemple ; car des moyens qu’elle avait de rendre sa société agréable elle n’en négligeait aucun. » [...]

[Marmontel évoque ensuite d'Alembert et Marivaux]

   Soit qu’il fût entré dans le plan de Mme Geoffrin d’attirer chez elle les plus considérables des étrangers qui venaient à Paris, et de rendre par là sa maison célèbre dans toute l’Europe, soit que ce fût le suite et l’effet naturel de l’agrément et de l’éclat que donnait à cette maison la société des gens de lettres, il n’arrivait d’aucun pays ni prince, ni ministre, ni hommes ou femmes de nom qui, en allant voir Mme Geoffrin n’eussent l’ambition d’être invités à l’un de nos dîners et ne se fissent un grand plaisir de nous voir réunis à table. C’était singulièrement ces jours-là que Mme Geoffrin déployait tous les charmes de son esprit et nous disait : soyons aimables. Rarement, en effet, ces dîners manquaient d’être animés par de bons propos. »  

Marmontel, Mémoires d’un père, tome II, livre VI.

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Date de dernière mise à jour : 27/03/2020