« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Adrienne Lecouvreur

Adrienne Lecouvreur   Adrienne Lecouvreur est née à Damery (près d’Épernay) dans la Marne le 5 avril 1692. Excellente tragédienne (elle joue toutes les héroïnes raciniennes), elle tombe amoureuse du beau Maréchal Maurice de Saxe, né à Goslar (en Basse-Saxe en Allemagne) le 28 octobre 1696, grand libertin devant l’éternel. Tombe amoureuse... mais en tombe aussi malade et meurt à 38 ans, dans ses bras, alors qu'il est de retour de Dresde (on lui avait promis de l'élire grand-duc de Courlande mais l'affaire ne se fait pas).

   C’est la dernière actrice à laquelle on refuse l’enterrement religieux (enterrée de nuit le 20 mars 1730 sur les berges de la Seine à la hauteur du Quai d'Orsay et recouverte de chaux vive) ce que Voltaire critique avec virulence dans son ode, « La Mort de Mlle Lecouvreur » : 

« ... Sitôt qu'elle n'est plus, elle est donc criminelle !

Elle a charmé le monde, et vous l'en punissez... »

   Il aborde également le problème dans ses Lettres anglaises (dites aussi Lettres philosophiques) : dans la lettre XXIII, Voltaire proclame « la considération qu’on doit aux gens de lettres ». Rêves politiques de sa jeunesse, refus par Louis XV de la dédicace de la Henriade (dédiée par la suite à la reine d’Angleterre), insolence du chevalier de Rohan à son égard, deux emprisonnements, exil, passion du théâtre...Bref. Voici un extrait concernant notre sujet : le sort fait aux comédiennes, meilleur en Angleterre qu’en France, dit-il...

   « On a même reproché aux Anglais d’avoir été trop loin dans les honneurs qu’ils rendent au simple mérite ; on a trouvé à redire qu’ils aient enterré dans Westminster la célèbre comédienne Mlle Ofils [1], à peu près avec les mêmes honneurs qu’on a rendus à M. Newton : quelques-uns ont prétendu qu’ils avaient affecté d’honorer à ce point la mémoire de cette actrice afin de nous faire sentir davantage la barbare et lâche injustice qu’ils nous reprochent, d’avoir jeté à la voirie le corps de Mlle Lecouvreur [2].    

   Mais je puis vous assurer que les Anglais, dans la pompe funèbre de Mlle Ofils, enterrée dans leur Saint-Denis [3], n’ont rien consulté que leur goût ; ils sont bien loin d’attacher l’infamie à l’art de Sophocle et des Euripide et de retrancher du corps de leurs citoyens [4] ceux qui se dévouent à réciter devant eux des ouvrages dont leur nation se glorifie... »

   Voltaire continue en s’en prenant aux « rigoristes fanatiques » qui condamnent le théâtre au nom de principes religieux et il souligne les contradictions de la France où les acteurs sont méprisés et excommuniés, et où pourtant « Louis XIV et Louis XV ont été acteurs. »

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Notes  

[1] Il s’agit de Mlle Oldfield, décédée en 1730. Voltaire écrit un anglais phonétique et francisé.  

[2] Adrienne Lecouvreur, morte en 1730, particulièrement aimée de Voltaire.

[3] Seuls les rois de France, leur famille et quelques grands capitaines étaient enterrés à Saint-Denis.

[4] Allusion à l’excommunication des comédiens.

Quelques détails

   C'est une fille du peuple, une blanchisseuse, remarquée pour sa beauté et sa voix par ses voisins de la Comédie-Française, adoptée et formée par leur doyen, Le Grand, excellent professeur de diction. Mais le goût du théâtre lui est venu avant cela : dès l'âge de quinze ans, elle forme une troupe avec des enfants de son âge et joue Polyeucte.

   On ne peut lui appliquer le fameux « paradoxe sur le comédien » de Diderot, qu'il énonce plus tard en observant l'étude du jeu et l'introspection de Mlle Clairon. Adrienne joue selon les préceptes antiques : « Si tu veux me faire pleurer, commence toi-même par être ému. » Pour interpréter ses rôles, elle va au fond de ses propres capacités d'émotion. Un journal du temps écrit : « Elle avait l'air de se pénétrer au degré qu'il fallait pour exprimer les grandes passions, de les faire sentir dans toute leur force. » Surtout, elle introduit sur scène un naturel qu'on n'a pas coutume d'y voir en disant les vers plutôt qu'en les déclamant. Sa voix est faible et basse mais « ses yeux parlaient autant que sa bouche et suppléaient souvent au défaut de sa voix » écrit le Mercure de France. Elle-même déclare : « La simplicité de mon jeu en fait l'unique et faible mérite. »

   Maurice de Saxe s'éprend d'elle lors d'une représentation de Phèdre ; elle lui est présentée chez la marquise de Lambert en 1721. Leur bonheur dure trois ans, ponctué des absences du maréchal et de lettres passionnées. On raconte « qu'elle lui a tout appris, hormis la guerre qu'il savait mieux que personne, et l'orthographe, qu'il ne sut jamais. »

   Elle lui écrit de Paris (il est resté avec la cour à Fontainebleau) : « Il eût bien mieux valu pour moi de rester où j'étais. Je vous voyais, rien n'y troublait mon bonheur, et je me crois ici tombée des nues parce que vous n'y êtes pas. Revenez, mon cher comte, me consoler et me rendre par votre présence la douce et unique consolation que je désire. Pour moi, je ne saurais plus me passer de vous. » (Cité par Marc Fumaroli in Quand l'Europe parlait français). 

   D’Alembert, secrétaire perpétuel de l’Académie française, compose de nombreux éloges, dont celui de Marivaux, reçu à l’Académie en 1742, suite à la campagne menée par Mme de Tencin qui a ouvert son salon à la mort de Mme de Lambert en 1733. Après avoir tressé des lauriers à Silvia, l’interprète favorite de Marivaux, il évoque Mlle Lecouvreur : « Il n’en était pas ainsi de la célèbre Lecouvreur, qui jouait dans les pièces de Marivaux, au Théâtre-Français, des rôles du même genre que ceux de Mlle Silvia au Théâtre Italien. On a plusieurs fois ouï dire à l’auteur que dans les premières représentations, elle prenait assez bien l’esprit de ces rôles déliés et métaphysiques ; que les applaudissements l’encourageaient à faire encore mieux s’il était possible ; et qu’à force de mieux faire elle devenait précieuses et maniérée. » 

   D'Alembert écrit en note : « Marivaux, qui avait fort connu Mlle Lecouvreur, racontait d’elle un trait singulier. Accoutumée à jouer sur le théâtre les rôles de princesse, elle en avait tellement pris l’habitude qu’elle en portait souvent dans la société le ton et les manières. Et ce n’est pas la seule personne de sa profession à qui l’on avait reproché ce ridicule. Elle passait un jour avec Marivaux devant la porte d’une communauté religieuse, où elle avait reçu la première éducation, et se tournant vers cette porte, elle se mit à pleurer : « Qu’avez-vous donc ? » lui dit Marivaux. « Hélas, répondit-elle, je pleure s’avoir si mal suivi les principes que j’ai reçus dans cette maison. » « Mademoiselle, lui dit-il, je ne puis que respecter vos pleurs ; mais choisissez donc ou d’être la plus grande princesse du monde, ou la personne du monde la plus raisonnable. »

   Au n° 115 de la rue de Grenelle (faubourg Saint-Germain), après la porte cochère, se trouve une plaque à la mémoire d'Adrienne Lecouvreur. Gravée par d'Argental (son légataire universel... et un autre de ses amants), elle fut retrouvée dans les combles de l'hôtel de Sommery. (Source de cette info : Le Guide Bleu-Paris).

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Date de dernière mise à jour : 13/03/2018