« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Concepts narratologiques dans Les Liaisons dangereuses

Actant

   On connaît depuis Greimas et Propp le schéma actanciel : destinateur, objet, destinataire, adjuvant, sujet, opposant.

   Appliqué aux Liaisons dangereuses, on obtient le modèle suivant : Valmont est le sujet qui désire atteindre un objet, Mme de Tourvel ; l’adjuvant involontaire est Mme de Rosemonde, sa tante ; les opposants sont M. de Tourvel (personnage absent), la pruderie de Mme de Tourvel et Mme de Volanges, sa conseillère. Mme de Merteuil jour le double rôle de destinateurs et surtout de destinataire (elle recevra l’hommage de la victoire).

   On peut établir un schéma différent quoique moins évident : le sujet est la marquise de Merteuil ; l’objet est la vengeance le destinateur Gercourt, le destinataire Valmont, l’adjuvant Cécile et l’opposant Mme de Tourvel.

   En fait, les fonctions peuvent varier au gré de l’action : autant de schémas actanciels que de programmes narratifs différents. Les rôles peuvent également varier au gré du récit, un adjuvant devenant opposant ou l’inverse : le rôle du chevalier Danceny par exemple dans l’entreprise de séduction de Cécile.

Analepse ou flash-back

   On remarque une analepse dans le récit autobiographique esquissé par la marquise de Merteuil dans la lettre 81.

Fonctions du narrateur

   Dans le roman épistolaire d’une manière générale, il s’agit de la fonction de communication : pour établir un contact avec le narrataire, cette fonction devient dominante sous la forme des adresses au destinataire qui inaugurent traditionnellement la lettre : « J’essaie de vous écrire, sans savoir encore si je le pourrai. » (Lettre 135 de Mme de Tourvel à Mme de Rosemonde).

Fréquence narrative

   On distingue le récit singulatif, répétitif et itératif. Le récit répétitif consiste à raconter plusieurs fois ce qui s’est passé une fois. Procédé commun aux romans épistolaires qui nous présentent le même événement vu par plusieurs personnages : on peut citer par exemple la scène de charité de Valmont.

Intertextualité / Paratextualité

   La paratextualité (l’un des modèles des relations intertextuelles) est la relation entre le texte et son paratexte (titre, sous-titre, préface). La préface des Liaisons est à prendre en considération pour une bonne interprétation du roman. Par ailleurs, elle peut servir à Laclos à se disculper lors d’un procès en immoralité. En cela, il imite Rousseau dans sa Nouvelle Héloïse qui dit : « J’ai vu les mœurs de mon temps et j‘ai publié ces lettres ». Cette préface a une fonction morale et le stratagème est transparent, d’autant que Laclos cite Rousseau en épigraphe.

Intrusion d’auteur

   Voir supra. Genette parle de « rupture du régime énonciatif ». L’auteur se désengage de son texte (ici, la préface). Le narrateur feint de se présente comme l’éditeur du texte. Ce procédé est très courant dans les romans épistolaires, que ce soit La Nouvelle Héloïse ou Les Liaisons.

Noms propres

   Le nom est une composante essentielle du personnage romanesque. Il permet d’ancrer le personnage dans le réel, la précision onomastique étant directement proportionnelle à l’objectif référentiel, ce qui explique que le roman classique dédaigne de trop nous renseigner sur ce thème : nous ignorons le prénom de la princesse de Clèves, de Nemours, comme celui de Mme de Merteuil, de Valmont et des autres protagonistes. Mais le recours au nom propre permet l’illusion référentielle : il tire le personnage du côté de la personne. Le nom de personne n’est jamais gratuit. On peut donc se livrer à un travail sur la connotation des noms. Cécile de Volanges ne serait-elle pas quelque peu volage ? Il y a de la dureté dans la deuxième syllabe de « Merteuil », etc.

Sources : Dictionnaire du roman, Yves Stalloni, Armand Colin, 2006.

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