« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

L’art poétique de Malherbe

Enfin Malherbe vint... (Boileau)

   Malherbe, poète-grammairien, n’a jamais formulé de façon dogmatique une doctrine mais on peut la déduire des annotations dont il a parsemé un exemplaire conservé des poèmes de Desportes (1546-1606), de ses propos rapportés par ses disciples et de son oeuvre même.

   Les sujets et les thèmes sont ceux des autres poètes de son époque : vers religieux ou funèbres, louanges officielles, poésies amoureuse, poésies de cour. L’originalité consiste dans sa conception de la poésie qui, pour lui, est affaire de métier ou de technique, l’inspiration jouant un rôle secondaire. Le premier instrument du poète, c’est la rhétorique, autrement dit l’art de bien dire.  

   Son ardeur réformatrice s’exerce d’abord dans le domaine de la langue qu’il veut précise, claire et nette. Il exige des mots justes employés avec leur sens exact. Il interdit ambiguïtés, obscurités, expressions verbeuses, termes trop archaïques ou trop techniques, néologismes incongrus, provincialismes, mots composés ou diminutifs étranges, toutes choses qu’avaient aimées les poètes de la Pléiade.

   Il réclame une même netteté et simplification dans la syntaxe, refusant les tournures alambiquées, les inversions incompréhensibles, les libertés trop audacieuses. Il souhaite une langue poétique proche de la prose en usage ans la bonne société du temps.  

   Baudelaire admire les vers de Malherbe, l’alexandrin surtout « symétrique et carré de mélodie ». La strophe se déroule avec logique et harmonie et le poème tout entier reflète une ordonnance majestueuse et équilibrée.

   Selon lui, le vers ne doit comporter ni hiatus, ni enjambement, ni élision, ni liberté orthographique trop commode. La rime doit être nette, satisfaisante à l’œil et à l’oreille. Les rimes masculines doivent alterner avec les ries féminines. L’alexandrin doit contenir une pause sensible, voire appuyée à la césure.

   La strophe doit comporter un repos au 3e vers pour le sizain, au 4e pour le huitain, au 4e et 7e pour le dizain. L’unité strophique est préférable à la succession des alexandrins à rimes plates.

   La phrase doit avoir un rythme correspondant à celui du vers. Un but unique : une mélodie claire et rigoureuse.

  Certains de se contemporains se moquent de cette esthétique pointilleuse, de cette critique tatillonne, s’indignent d’une conception de la poésie qui semble méconnaître l’inspiration ou le génie, dénoncent les contraintes stérilisantes, l’appauvrissement de la langue et du flux poétique. Pourtant, de la discipline intellectuelle et technique préconisée naît une poésie austère qui parvient à éterniser le fugitif et le précaire comme dans le marbre. Francis Ponge a traité son œuvre de « monument abrupt ». Rappelons le vers final, célèbre, du sonnet « Au Roi » : « Ce que Malherbe écrit dure éternellement. »

   Cependant, Malherbe ne croit pas à l’importance sociale de la poésie. Il affirme que « c’est sottise de faire des vers pour en espérer autre récompense que son divertissement, et qu’un bon poète n’est pas plus utile à l’État qu’un bon joueur de quilles ».

Satire de Mathurin Régnier

   Une querelle retentissante oppose entre 1605 et 1609 Régnier et Malherbe. Au-delà des rivalités de personnes, c'est la conception même de la poésie qui est en cause. Face à Malherbe, champion de la modernité, le poète satirique se pose en défenseur de l'héritage, celui de la Pléiade confondu avec celui des Anciens. Ainsi, la Satire IX se veut à la fois un véritable art poétique et la critique des nouveaux poètes. En voici un extrait :

... Aussi je les compare à ces femmes jolies

Qui par les affiquets (1) se rendent embellies,

Qui, gentes en habits et sades (2) en façons,

Parmi leur point coupé tendent leurs hameçons ;

Dans l'oeil rit mollement avecque afféterie,

Et de qui le parler n'est rien que flatterie,

De rubans piolés (3) s'agencent proprement,

Et toute leur beauté ne gît qu'en l'ornement ;

Leur visage reluit de céruse et de peautre (4) ;

Propres en leur coiffure, un poil ne passe l'autre...

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Notes

(1) Petits objets de parure, tels rubans, dentelles, etc.

(2) Gentilles.

(3) En partie d'une couleur, en partie d'une autre.

(4) Fard.

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Date de dernière mise à jour : 07/03/2018