« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Condamnation de la préciosité

Introduction

   La préciosité française du 17e siècle eut une longue vie. Attaquée dès 1637 par Desmarets de Saint-Sorlin sans sa comédie Les Visionnaires, elle l’est par Molière dans Les Précieuses ridicules (1659) et Les Femmes savantes (1672), par La Bruyère dans ses Caractères (1688, Chap. V : « De la société et de la conversation ») et par Boileau sans sa Satire X (1692).

Préciosité selon La Bruyère

    « L’on a vu, il n’y a pas longtemps, un cercle (1) de personnes des deux sexes, liées ensemble par la conversation et par un commerce d’esprit. Ils laissaient au vulgaire l’art de parler d’une manière intelligible ; une chose dite entre eux peu clairement en entraînait une autre encore plus obscure, sur laquelle on enchérissait par de vraies énigmes, toujours suivies de longs applaudissements : par tout ce qu’ils appelaient délicatesse, sentiments, tour et finesse d’expression, ils étaient enfin parvenus à n’être plus entendus et à ne s’entendre pas eux-mêmes. Il ne fallait, pour fournir à ces entretiens, ni bon sens, ni jugement, ni mémoire, ni la moindre capacité : il allait de l’esprit, non pas du meilleur, mais de celui qui est faux, et où l‘imagination a trop de part. »

La Bruyère, 1688, Les Caractères, chap. V : « De la société et de la conversation ».

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Notes

(1) Sans doute allusion à l’Hôtel de Rambouillet alors en pleine décadence.

Préciosité selon Boileau

 « Mais qui vient sur ses pas (1) ? C’est une précieuse,

Reste de ces esprits jadis si renommées

Que d’un coup de son art Molière a diffamés.

De tous leurs sentiments cette noble héritières

Maintient encore ici leur secte façonnière.

C’est chez elle toujours que les fades auteurs

S’en vont se consoler du mépris des lecteurs.

Elle y reçoit leur plainte ; et sa docte demeure

Aux Perrins, aux Coras (2), est ouverte à toute heure.

Là, du faux bel esprit se tiennent les bureaux ;

Là, tous les vers sont bons, pourvu qu’ils soient nouveaux ;

Un mauvais goût public la belle y fait la guerre ;

Plaint (3) Pradon opprimé des sifflets du parterre ;

Rit des vains amateurs du grec et du latin ;

Dans la balance (4) met Aristote et Cotin (5) ;

Puis, d’une main encore plus fine et plus habile,

Pèse sans passion Chapelain (6) et Virgile,

Remarque en ce dernier beaucoup de pauvretés,

Mais pourtant, confessant qu’il a quelques beautés,

Ne trouve en Chapelain, quoi qu’ait dit la satire,

Autre défaut, sinon qu’on ne le saurait lire ;

Et, pour faire goûter son livre à l’univers,

Croit qu’il faudrait en prose y mettre tous les vers. »

Boileau, 1692, Satire X  

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Notes

(1) Boileau a fait précédemment le portait de la femme savante.

(2) L’abbé Perrin (1620-1675) est l’auteur d’une traduction en vers de L’Énéide et de trois volumes de vers, le fondateur de l’Académie royale de Musique (l’Opéra). Coras est l’auteur d’un poème épique, Jonas (1663).  

(3) Allusion à Mme Deshoulières, qui avait fait un sonnet contre la Phèdre de Racine.

(4) Souvenir du portrait de la pédante qu’a tracé Juvénal (Satire VI).  

(5) L’abbé (1604-1682) Cotin est l’auteur de vers galants, souvent attaqué par Boileau, qu’il attaqua à son tour dans La Satire des satires et La Critique désintéressée des satires du temps, où il l’appelle le sieur Desvipéreaux (cf. Boileau-Despréaux). Molière l’a représenté dans Les Femmes savantes sous le nom de Trissotin, c’est-à-dire « trois fois sot » (d’abord nommé Tricotin).

(6) Chapelain (1595-1674), l’une des principales victimes de Boileau, l’auteur d’un poème épique La Pucelle et des Sentiments de l’Académie sur Le Cid.

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Date de dernière mise à jour : 19/04/2020