« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Aristocratie de l'esprit

La préciosité, une aristocratie de l'esprit

   Préciosité, Femme est ton nom… La préciosité, sujet au sens grammatical de ce texte, pourrait aisément être remplacé par « la femme » (ou les femmes). On obtiendrait ainsi (avec quelques modifications minimes) une élégante allégorie, en accord avec cette femme de l’élite, courtoise, cultivée et curieuse qui promène sa noble silhouette dans les salons et ruelles du grand siècle…  

   « La préciosité met en jeu les plus grands noms, parmi les écrivains du règne d’Henri IV et de Louis XIII : il a fallu invoquer à son sujet Honoré d’Urfé, Guez de Balzac, Corneille et Voiture. Nulle part on n’a vu qu’elle ait dénaturé leur héritage, même si elle ne l’a pas recueilli tout entier. Après elle, elle a laissé des traces profondes chez Molière, quelques critiques qu’il en ait faites, La Fontaine et Racine. Elle nourrit les réflexions du chevalier de Méré, les remarques grammaticales du Père Bouhours, elle pénètre l’atmosphère romanesque et la psychologie amoureuse de La Princesse de Clèves et elle marque de son empreinte les Maximes de La Rochefoucauld. Elle a inspiré toute une littérature psychologique et morale, surtout abondante dans la poésie et le roman, mais représentée aussi à l’occasion par la tragédie, dont les classiques se sont imprégnés ; elle n’est même pas étrangère à la naissance et au succès d’un genre nouveau comme l’opéra. Elle montre, en somme, par la quantité de ses implications et de ses résurgences, comme par celle de ses origines, sa propre richesse intérieure Située eu centre du siècle elle en reflète de nombreux aspects, soit qu’elle résume ceux qui la précèdent, soit qu’elle prépare et annonce ceux qui relèveront d’elle.

   En dépit des sacrifices qu’elle consent, de temps à autre, aux grâces de la légèreté et de l’amusement conduites par Voiture et quelques-uns de ses émules, Sarasin notamment, elle a une prédilection toute particulière pour les occupations sérieuses. Elle a une haute idée d’elle-même et des tâches qu’elle a à accomplir. Qu’il s’agisse de littérature, de poésie, de morale, d’instruction féminine, de mariage ou de question de langue, elle aborde toutes les sujets avec confiance, et même avec audace. Elle veut pousser plus avant la connaissance de l’homme intérieur ; elle désire explorer les zones inconnues de l’âme et apporter des nuances nouvelles, d’une délicatesse encore insoupçonnée, dans l’analyse des sentiments.  

   Elle conçoit la vie et l’amour, et l’anatomie des cœurs, comme un moyen de culture de soi. Aussi, quelle que soit l’importance qu’elle accorde aux belles passions, ne cesse-t-elle de donner la première place à l’intelligence et à la raison. Elle aime distinguer, opposer, disséquer, par un effort cérébral et lucide. Ainsi, elle se crée une image de l’homme toute de noblesse et de grandeur. Loin de tout ce qui est vulgaire, bas, terre à terre, pu tout simplement commun et bourgeois, elle est en quête de perfection, d’élégance, de finesse et de pureté. C’est pourquoi elle se retrouve dans le théâtre cornélien qui l’aide à se hausser, au-dessus des banalités de la vie, jusqu’aux grandeurs héroïques exemplaires. A son école, comme à celle de l’Astrée, elle a pris le goût des débats élevés, des dissertations subtiles sur des cas complexes de morale ou de conduite amoureuse. Alors elle peut satisfaire son penchant pour les examens, les comparaisons, les définitions. Ce faisant, elle espère atteindre à la nature profonde des choses, à leur essence, par une abstraction progressive, tout en établissant des hiérarchies ingénieuses, comme par exemple entre les diverses sortes d’amour, d’estime ou de reconnaissance. »  

Sources : La Préciosité, étude historique et linguistique, tome 1, Roger Lathuillère, éd. Droz, 1969, pp. 677-678.

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