« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

La Palatine et Marly

Séjours de la cour à Marly (Lettres de la Palatine)

   Le château de Marly

   On peut citer Saint-Simon, toujours malveillant : « Le Roi, lassé du beau et de la foule, se persuada qu'il voulait quelquefois du petit et de la solitude. »

   Les séjours à Marly sont considérés comme une récréation ; y est invitée l’élite des courtisans qui se pressent pour faire partie des heureux élus, n’hésitant pas à implorer le roi : « Sire, Marly ! » La Palatine, obligée de suivre le roi dans tous ses déplacements, est de toutes les fêtes.

   À propos d’une loterie, elle écrit : « Nous devions avoir une grande fête à Marly, dans laquelle le roi voulait faire des cadeaux à toutes les dames ; mais la chose a été ébruitée trop tôt : toutes les dames de qualité ont voulu être de la fête ; c’est pourquoi vers l‘époque où nous devions aller à Marly, il en est arrivé une telle foule qu’on ne pouvait plus se retourner. Beaucoup d’entre elles ont été trouver les marchands chez lesquels les étoffes avaient été achetées, pour apprendre combien on en avait pris et ce qu’elles avaient coûté. Quand le roi apprit cela, il en a été contrarié et a dit qu’on allait s’imaginer que ses présents seraient d’une magnificence indescriptible et que tout ce qu’il donnerait ne serait rien en comparaison. La partie fut donc rompue. Le roi garda les pierres précieuses et nous fit jouer les brocarts, les rubans et les éventails. » (3 septembre 1684)

   Le château, à part le logis royal, est constitué d’une dizaine de petits pavillons incommodes que se partagent souvent deux ou trois personnes : « À Marly, on n’a pas d’appartement, si ce n’est pour dormir et s’habiller ; mis dès que ceci est fait, tout est pour le public. Dans l’appartement du roi, il y a la musique ; dans celui du dauphin, on prend les repas, tant à midi que le soir ; là se trouve aussi le billard, qui ne désemplit pas. Dans l’appartement de Monsieur se trouve la banque, toutes les tables de trictrac et les jeux de cartes ; dans le mien se tenaient les marchands, et c’est là qu’avait lieu la foire. » (6 décembre 1687)

   À Marly, on s’amuse : « Il faut que je vous raconte comment s’est passé le bal masqué de Marly. Jeudi le roi et nous tous nous avons soupé à neuf heures. Après le souper on se rendit au bal qui commença à dix heures. A onze heures arrivèrent les masques. On vite entrer une dame haute et large comme une tour, c’était M. le duc de Valentinois, fils de M. de Monaco. Il est très grand. Cette dame avait une mante qui lui descendait jusqu’aux pieds. Arrivée au milieu de la salle elle entrouvrit la mante ; il sauta dehors rien que des figures de la comédie italienne : Arlequin, Scaramouche, Polichinelle, le Docteur, Briguelle, et un paysan. Ils se mirent à danser bien gentiment. M. de Brionne faisait Arlequin, le comte d’Ayen, Scaramouche ; mon fils, Polichinelle, le duc de Bourgogne, le Docteur ; La Vallière, Briguelle, le prince Camille, le paysan […]. M. le dauphin arriva avec une autre troupe tous bien drôlement masqués : ils changèrent d’habits trois ou quatre fois. Sa compagnie était composée de la princesse de Conti, Mlle de Lillebonne, Mme de Chatillon et le duc de Villeroy. Les ducs d’Anjou et de Berry avec leurs gens formaient la troisième bande de masques ; la duchesse de Bourgogne et les dames la quatrième ; Mme de Chartres, Mme la duchesse, Mlle d’Armagnac, Mme la duchesse de Villeroy, Mlle de Tourbe, fille du maréchal d’Estrées, et Mlle de Melun, la cinquième. Le bal dura jusqu’à deux heures moins un quart […]. Vendredi […] toutes les dames étaient fort parées en robe de chambre ; la duchesse de Bourgogne était en beau masque, habillée coquettement à l’espagnole avec un petit chapeau […]. Mme de Mongon en collet monté. Mme d’Ayen, en habillement de théâtre comme sont costumées les déesses ; la comtesse d’Estrées à l’ancienne mode française et Mme Dangeau à l’ancienne mode allemande. Une demi-heure après vinrent sept à huit masques qui dansèrent une entrée d’opéra avec des guitares, à savoir mon fils, le comte d’Ayen, le prince Camille et La Vallière en habits d’hommes ridicules, M. le dauphin, M. d’Antin et M. de Brionne en dames, avec robes de chambre, cornettes, écharpes et tours de cheveux blonds bien plus hauts qu’on ne les porte d’ordinaire. Ces trois messieurs sont presque aussi gros l’un que l’autre ; ils portaient de tous petits masques noirs et rouges avec des mouches. Ils dansaient par haut. D’Antin se démenait tellement qu’il culbuta M. de Brionne, lequel tomba sur le derrière, juste aux pieds de la reine d’Angleterre. Vous pouvez vous imaginer quels éclats de rire on fit. Peu après mon cher duc de Berry alla se déguiser en baron de la crasse, et revint danser tout seul une entrée bien drôle. » (8 février 1699)   

   Amoureuse de la nature, elle admire les jardins : « Ce matin, je suis allée me promener avec le roi. On dirait que ce sont des fées qui travaillent ici, car là où j’avais laissé un grand étang, j’ai trouvé un bois ou un bosquet ; là où j’avais laissé une grande place et une escarpolette, j’ai trouvé un réservoir plein d’eau, dans lequel on jettera ce soir cent et quelques poissons de diverses espèces et trente grandes carpes admirablement belles. Il y en a qui sont comme de l’or, d’autres comme de l’argent, d’autres d’un beau bleu incarnat, d’autre tachetées de jaune, blanc et noir, bleu et blanc, jaune d’or et blanc, blanc et jaune d’or avec des taches rouges ou des taches noires ; bref il y en a de tant d’espèces que c’est vraiment merveilleux.» (6 juillet 1702) « Hier nous avons été avec le roi au jardin, avant et après le dîner, pour voir mettre en place de fort belles statues : elles coûtent cent mille franc les deux. L’une est la Renommée : elle est assise sur un coursier ailé ; le tout est d’un seul bloc de marbre blanc ; l’autre est un Hercule à cheval aussi. On ne peut rien voir de plus beau. Je ne crois pas que dans le monde entier il soit possible de trouver un plus beau jardin que celui d’ici. » (9 août 1702)

   Les séjours à Marly sont souvent à thème : « Quand on danse à Marly, les jeunes dames seules se présentent pour y aller et c’est ce qu’on appelle un Marly gambade […]. Le plus plaisant est que quand on y mène maris et femmes, cela s’appelle un Marly à cheval. » (4 janvier 1704)

   La Palatine, très attachée aux préséances, regrette qu’elles ne soient pas respectées à Marly : « On ne sait plus du tout qui on est : quand le roi se promène, tout le monde se couvre ; la duchesse de Bourgogne va-t-elle se promener, eh bien, elle donne le bras à une dame et les autres marchent à côté. On ne voit donc plus qui elle est. Ici, au salon et à Trianon, dans la galerie, tous les hommes sont assis devant M. le dauphin et Mme la duchesse de Bourgogne ; quelques-uns même sont étendus tout de leur long sur les canapés. Jusqu’aux frotteurs [de carreaux], qui jouent aux dames dans cette galerie. J’ai grand-peine à m’habituer à cette confusion : on ne se fait pas d’idée comme tout est présentement, cela ne ressemble plus du tout à une cour. » (2 août 1705)

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