« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Mme de Montbazon

La scandaleuse duchesse de Montbazon et la conversion de Rancé

Mme de Montbazon   Mariée à seize ans à sa sortie du couvent avec le duc de Montbazon âgé de soixante-douze ans, la très belle duchesse de Montbazon est initiée par son mari au libertinage et prend d’abord pour amant le duc de Chevreuse (son beau-fils).

   Retz témoigne dans ses Mémoires : « Madame de Montbazon n’aimait rien que son plaisir, et au-dessus de son plaisir, son intérêt. Je n’ai jamais vu personne qui eût conservé tant de vice et si peu de respect pour la vertu. »

   Tallemant, dans ses Historiettes, raconte que la duchesse, « quand elle était grosse […] courait au grand trot en carrosse par tout Paris et disait : « Je viens de rompre le cou à un enfant. » Et il assure qu'à plus de trente-cinq ans, « elle défaisait toutes les autres au bal. »

   Du reste, elle figure dans la mémoire collective (comme la Célimène de Molière) grâce à cette chanson :

« Y avait dix filles dans un pré,

 Toutes les dix à marier.

Y avait Dine, y avait Chine,

Y avait Claudine et Martine.

Ah ! Ah ! Ah !

Catherinette et Caterina,

Y avait la belle Suzon,

La duchesse de Montbazon,

Y avait Célimène

Et y avait la du Maine...

Le fils du roi vint à passer... »

   Au moment de mourir, il fallait se repentir : le 17e siècle est hanté par la damnation et il faut faire une « bonne mort ». Mme de Motteville, dans ses Mémoires, raconte les derniers instants de Mme de Montbazon qui se repent de sa vie scandaleuse : « Cette illustre mondaine n’eut que trois heures à se préparer à ce grand voyage : il parut néanmoins qu’elle les employa bien. Elle se confessa et reçut tous les sacrements avec beaucoup de marques de piété et de repentir de n’avoir pas suivi des maximes plus solides et plus chrétiennes : disant à sa fille l’abbesse de Caen, qui se trouva là auprès d‘elle, qu’elle était fâchée de n’avoir pas été toujours comme elle dans un cloître et que, sentant approcher l’heure de son jugement, elle avait de l’horreur de sa vie passée. »

   Elle poursuit : « Ses anciens amants la regardèrent avec mépris ; et ceux qui l’aimaient encore n’en furet pas touchés parce que chacun, jaloux de son rival laissa les larmes et la douleur en partage au duc de Beaufort, qui en était alors le mieux aimé. »

   Mais l’abbé de Rancé, lui, l’aimait profondément, et sa mort fut à l’origine de sa conversion - réformateur de La Trappe -, comme en témoigne Saint-Simon dans ses Mémoires, qui nous en livre deux versions : « Le premier objet qui était tombé sous ses yeux avait été sa tête, que les chirurgiens, en l’ouvrant, avaient séparée ; qu’il n’avait appris sa mort que par là, et que la surprise et la douleur de ce spectacle, joint à la douleur d’un homme passionné et heureux, l’avait converti, jeté dans la retraite, et de là dans l’ordre de Saint-Bernard et dans sa réforme. » Autre version : « Madame de Montbazon mourut de la rougeole en fort peu de jours. Monsieur de Rancé était auprès d’elle, ne la quitta point, lui fit recevoir les sacrements et fut présent à sa mort. La vérité est que, déjà touché et tiraillé entre Dieu et le monde, méditant déjà depuis temps une retraite, les réflexions que cette mort si prompte fit faire à son cœur et à son esprit achevèrent de le déterminer. »

   On peut lire à ce sujet La Vie de Rancé, de Chateaubriand : « Il [Rancé] invoqua la nuit et la lune. Il eut toutes les angoisses et toutes les palpitations de l’attente. Mme de Montbazon était allée à l’infidélité éternelle », écrit-il... 

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