« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Mélite (Corneille) : du comique au baroque

Introduction

Mélite (Corneille)   Corneille débute au théâtre en 1629 avec Mélite mais le siècle n’est pas encore parvenu à se doter d’une littérature comique qui vaille. Le genre a peu intéressé jusqu’alors les auteurs et encore moins les théoriciens. Aristote en effet n’en a presque rien dit dans et dans la hiérarchie littéraire la comédie est située bien au-dessous de l’épopée et de la tragédie. La seule définition qu’on en donne est assez vague : c’est une intrigue entre personnages de petite condition, finissant heureusement et entièrement inventée. Aux spectateurs qui veulent se divertir ne sont offertes que des farces ou facéties, la plupart du temps en prose et toujours (qu’elles relèvent de la tradition médiévale ou de la commedia dell’arte) d’une grossièreté et d’une bouffonnerie rudimentaires. Cependant, les scènes comiques éparses dans les pastorales dramatiques et les tragicomédies se sont plu à une peinture amusante de la réalité familière.

Mélite, une comédie mondaine

   Dans Mélite, Corneille met en scène des honnêtes gens, toute une jeunesse dorée, adonnée aux occupations et aux divertissements de la bonne société (visites, conversations, promenades, confidences, etc.) Il a emprunté ses personnages oisifs et distingués à l’Astrée ou à la pastorale mais il les a transformés en jeunes nobles ou bourgeois de 1630, dont il veut faire des portraits ressemblants en les montrant dans leur vie quotidienne. Y figurent les figures typiques de l’élite sociale ; les filles à marier, une jolie veuve indépendante, un jeune homme frais émoulu de ses études, une suivante, et bien d’autres.

Allons plus loin

Un réalisme aimable transforme ainsi la comédie en un miroir des mœurs mondaines. Il peut aller jusqu’à une vraisemblance bourgeoise plus grave : les questions d’argent viennent lester cette société choisie, un peu irréelle. La chasse aux beaux partis est ouverte ; un amant sans fortune souffre de soupirer pour une gemme riche ; un autre aspire à un mariage opulent : les ingénues doivent accorder leur cœur avec les intérêts de leur famille ; et ces pièces matrimoniales risqueraient de virer au noir si l’intrigue ne les acheminait vers un heureux dénouement.

   Ce théâtre-là est-il comique ? Une certaine élégance en impose : le réalisme social rôde, le pathétique guette Corneille. Corneille voulait faire rire les gens de qualité. À cela tendait le romanesque des intrigues qui déroulaient les péripéties ordinaires (rivaux, jaloux, enlèvements, fausses lettres) et les rites obligés, déclarations d’amour, silences, services, feintes) des amours contrariées, en des sortes de tragicomédies roses, sentimentales et gaies. Le comique de caractère tenait aux extravagances, aux folies même des jeunes héros, à leurs contradictions, aux jeux de la mauvaise foi, à tout un marivaudage avant la lettre.

Le baroque

   Corneille, après 1635, montra en revenant au genre de ses début avec Le Menteur et sa Suite, que le virtuosité comique et la fantaisie comique étaient encore à sa portée dans la cascade de quiproquos, dans la vitalité des personnages et dans le tourbillon réjouissant du spectacle. Citons également Clitandre, sa deuxième pièce, une tragicomédie au baroque flamboyant : intrigue mouvementée, scènes violentes et surprenantes (tentative de viol, œil crevé, poursuite à la lueur des éclairs, etc.) et style déclamatoire.

   L’Illusion comique est l’un des chefs-d’œuvre de la littérature baroque, avec une structure enchâssée, tout en trompe-l’œil et mise en abyme. La frontière entre la réalité et l’illusion s’efface. Une apologie du théâtre y célèbre l’art de la feinte. L’instabilité et l’ambiguïté baroques apparaissent comme les lois de l’intrigue et de la vie sentimentale : les amoureux changent, rêvent de changer ou feignent de changer de partenaires, usent sans cesse de faux-semblant et du déguisement ou deviennent de véritables héros de l‘inconstance. Dans son Épitre préliminaire, Corneille présente ainsi cette pièce : « Voici un étrange monstre... Le premier acte n’est qu’un prologue, les trois suivants sont une comédie imparfaite, le dernier est une tragédie, et tout cela cousu ensemble fait une comédie. »

   Suivront les grandes tragédies.

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