« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Princesse de Clèves : 1er roman psychologique

   Dans l’histoire du roman, l’irruption de la psychologie est assez tardive et correspond à l’entrée dans une certaine modernité littéraire. Les premiers textes narratifs (de l’Antiquité, du Moyen Age ou de la Renaissance) s’attachent en priorité à développer une intrigue, à privilégier l’aventure et à traiter la part affective de manière sommaire et rapide. Les romans de Rabelais s’abstiennent de toute digression psychologique et même le premier chef-d’œuvre de la littérature sentimentale, L’Astrée (1607-1627) tente moins de nous faire pénétrer dans l’esprit du berger Céladon, que de rendre des situations conventionnelles destinées à illustrer les divers états amoureux.

   On s’accorde à attribuer l’invention de l’analyse romanesque à Mme de Lafayette qui, après quelques textes appartenant encore à la veine héroïque (La Princesse de Montpensier, Zayde), propose avec La Princesse de Clèves (1678) une forme inédite.

   Henri Coulet (Le Roman jusqu’à la Révolution, Albin Michel, réédition 2000) écrit : « Pour la première fois dans l’histoire du genre romanesque, la peinture du cœur est le principal objet du roman ; les faits lui sont subordonnés, l’analyse qui s‘insérait jusqu’alors dans les moments successifs du récit est devenue récit lui-même ; dans La Princesse de Clèves, Mme de Lafayette a supprimé la division si sensible chez Mlle de Scudéry entre l’action et la psychologie, en faisant apparaître dans celle-ci un intérêt du même ordre que l’intérêt précédemment cherché dans celle-là. » Telle est en somme la définition du roman psychologique : celui où la psychologie constitue la part majeure du récit et non le simple commentaire de l’action qui serait dominante.

   Certes, l’analyse psychologique n’est pas l’unique fin du roman de Mme de Lafayette qui est en même temps un roman sentimental, un roman historique et un roman de mœurs. Convenons toutefois que ce livre innove dans l’art de pénétrer dans la conscience des personnages en s’appuyant sur une forme adaptée, le monologue intérieur, et sur une technique, le style indirect. Le premier procédé doit permettre à l’héroïne de mettre de l’ordre dans son esprit après les moments d’agitation ou d’intense émotion ; le second d’affirmer la présence de la narratrice qui prend à son compte, pour les analyser et les juger, les paroles et les pensées de son personnage.

   Par exemple cette phrase, suite à une remarque de Mme de Chartres, sa mère : « L’on ne peut exprimer la douleur qu’elle sentit de connaître, par ce que lui venait de dire sa mère, l’intérêt qu’elle prenait à M. de Nemours ; elle n’avait encore osé se l’avouer à elle-même. Elle vit alors que les sentiments qu’elle avait pour lui étaient ceux que M. de Clèves avait tant demandés ; elle trouva combien il était douteux de les avoir pour un autre que pour un mari qui les méritait. » La formulation indirecte nous permet d’assister au combat entre la raison et la sensibilité.

   La Princesse de Clèves va fonder une tradition romanesque qui se manifestera dès le 18e siècle par des romans qui, en concurrence avec d’autres registres, s’attacheront plus ou moins à l’analyse psychologique, comme Manon Lescaut (abbé Prévost), Gil Blas de Santillane (Lesage), La Vie de Marianne (Marivaux), Les Égarements du cœur et de l’esprit (Crébillon), Julie ou La Nouvelle Héloïse (Rousseau) ou Les Liaisons dangereuses (Laclos).

Sources : Dictionnaire du roman, Yves Stalloni, Armand Colin, 2006.

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Date de dernière mise à jour : 15/10/2017