« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Consolation à M. du Périer

Introduction

   La « consolation » est un genre antique (Consolations de Sénèque, par exemple) dont l’écueil réside bien souvent dans la banalité et la rhétorique. Mais ce genre convenait à Malherbe dans la mesure où il prête aux lieux communs moraux.  Ses stances peuvent paraître froides. Mais elles révèlent tout un aspect du 17e siècle : pudeur extrême du sentiment, acceptation lucide de la condition humaine, stoïcisme austère, à ne pas confondre avec une insensibilité égoïste.

   M. du Périer était avocat au Parlement d’Aix. Cette consolation (1598) s’adresse « à Monsieur du Périer, gentilhomme d’Aix-en-Provence sur la mort de sa fille. »

   Malherbe lui-même a perdu son fils aînée en en 1587 et sa fille en 1598.

Consolation à M. Du Périer

Ta douleur, Du Périer, sera donc éternelle,

Et les tristes discours[1]

Que te met en l’esprit l’amitié[2] paternelle

L’augmenteront toujours ?

*

Le malheur de ta fille au tombeau descendue

Par un commun trépas,

Est-ce quelque dédale où ta raison perdue[3]

Ne se retrouve pas ?

*

Je sais de quels appas son enfance était plein,

Et n’ai pas entrepris,

Injurieux ami[4], de soulager ta peine

Avecque son mépris[5].

*

Mais elle était du monde où les plus belles choses

Ont le pire destin,

Et rose elle a vécu ce que vivent les roses[6],

L’espace d’un matin.

*

Puis, quand ainsi serait que[7], selon ta prière,

Elle aurait obtenu

D’avoir en cheveux blancs terminé sa carrière[8],

Qu’en fût-il advenu ?

*

Penses-tu que, plus vieille, en la maison céleste

Elle eût eu plus d’accueil ?

Ou qu’elle eût moins senti la poussière funeste

Et les vers du cercueil[9] ?

*

Non, non, mon Du Périer, aussitôt que la Parque[10]

Ôte l‘âme du corps,

L’âge s’évanouit au deçà de la barque[11]

Et ne suit point les morts.

*

Tithon[12] n’a plus les ans qui le firent cigale,

Et Pluton[13] aujourd’hui,

Sans égard du passé, les mérites égale

D’Archémore[14] et de lui.

*

Ne te lasse donc pas d’inutiles complaintes ;

Mais, sage[15] à l’avenir,

Aime une ombre comme ombre, et des cendres éteintes

Éteins[16] le souvenir.  

*

C’est bien, je le confesse, une juste coutume,

Que le cœur affligé,

Par le canal des yeux vidant son amertume,

Cherche d’être allégé.

*

Même, quand il advient que la tombe sépare

Ce que nature a joint,

Celui qui ne s’émeut a l’âme d’un barbare

Ou n’en a du tout point.

*

Mais d’être inconsolable, et dedans sa mémoire

Enfermer un ennui[17],

N’est-ce pas se haïr pour acquérir la gloire

De bien aimer autrui[18] ?

[...]

De moi, déjà deux fois d’une pareille foudre

Je me suis vu perclus,

Et deux fois la raison m’a si bien fait résoudre

Qu’il ne m’en souvient plus.

*

Non qu’il ne me soit grief que la terre possède

Ce qui me fut si cher ;

Mais un accident qui n’a point de remède,

Il n’en faut point chercher.

*

La Mort a des rigueurs à nulle autre pareilles ;

On a beau la prier,

La cruelle qu’elle est se bouche les oreilles

Et nous laisse crier.

*

Le pauvre en sa cabane où le chaume le couvre

Est sujet à ses lois

Et la garde qui veille aux barrières du Louvre

N’en défend point nos rois.

*

De murmurer contre elle et perdre patience

Il est mal à propos ;

Vouloir ce que Dieu veut est la seule science

Qui nous met en repos.

Malherbe, Œuvres, « Stances »

 

[1] Réflexions, pensées.

[2] Affection, amour, tendresse.

[3] C’est en effet à la raison de son ami que Malherbe va constamment faire appel. 

[4] En ami injuste.

[5] En la jugeant méprisable, insignifiante. Malherbe fait ici une concession à Du Périer.

[6] Première rédaction (Consolation à Cléophon) : « Et Rosette a vécu... ». Mais la fille de Du Périer s’appelait Marguerite, d’où l’habile modification du vers.

[7] En admettant que.

[8] Durée de la vie.

[9] Réalisme brutal de l’expression.

[10] Divinité mythologique qui préside à la mort.

[11] La barque du nocher Charon, sur laquelle les âmes traversaient le fleuve des Enfers.  

[12] L’Aurore avait obtenu pour Tithon, un beau mortel qu’elle aimait, l’immortalité, mais elle avait oublié de demander également la jeunesse éternelle : Tithon ne cessa plus de vieillir et la déesse fut obligée de le transformer en cigale.

[13] Le souverain du royaume des morts.

[14] Prince grec légendaire qui mourut en bas page. Son nom signifie mort prématurément.

[15] Un manuel scolaire propose « songe » à la place de « sage ».

[16] Importance de la répétition.

[17] Sens plus fort qu’aujourd’hui.

[18] Malherbe cite ensuite des exemples de fermeté devant la douleur empruntés à la légende et à l’histoire.  

Pistes de lecture

Voici les questions proposées dans le Lagarde et Michard 17e siècle (Bordas, 1963)...

1/ Malherbe s’adresse à la raison de son ami : quels sont ses arguments ? Étudier leur valeur et leur enchaînement.

2/ Quelle que soit la valeur de ce poème, vous paraît-il vraiment de nature à consoler un père ? Motivez votre opinion. Ne manque-t-il pas quelque chose à cette consolation[1] ?

3/ Relever les allusions mythologiques. Quelle impression vous donne ce mélange d’images antiques et de pensée chrétienne ? En connaissez-vous d’autres exemples au 16e et au 17e siècle ?

4/ Qualités et défauts du lyrisme de Malherbe dans ce texte.

5/ Étude de la versification : a) la strophe ; b) effet produit par l’alternance des vers longs et courts ; c) montrer avec quelle rigueur la phrase s’inscrit dans la strophe et la demi-strophe.  

... et celles proposée dans la collection Mitterrand 17e siècle (Nathan, 1987)

1/ La consolation : Étudiez l’enchaînement des arguments (lieux communs impersonnels et thèmes plus personnels) que Malherbe met en avant pour apaiser la douleur du père affligé ; vous paraissent-ils convaincants ?

2/ Une conception du deuil ou des larmes : En quoi peut-on parler ici de stoïcisme ?

3/La mythologie : Malherbe en critiquera plus tard l’emploi abusif dans la poésie de son temps. Pourquoi ? Comment parvient-il cependant à l’insérer sans disparate dans cette œuvre ?

4/ Le lyrisme : Étudiez l’harmonieux accord de la syntaxe et de la versification. C’est sans le maniement de l’alexandrin surtout que Malherbe triomphe (Baudelaire admirait son vers « carré ». Étudiez-en les pauses et les accents. Quel effet produit l’adjonction d’un vers de six syllabes à l’alexandrin ?

 

 

  

 


[1] Type même de question fermée qui contient en elle-même la réponse...

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