« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Calypso

Une étrange géographie : la grotte de Calypso, du baroque au surréalisme

Calypso   Je ne m’aventurerais pas à dire que la déesse Calypso est une héroïne littéraire – quoique – mais je ne peux résister à la description de sa grotte dans Télémaque, d’autant qu’Aragon en a fait une réécriture pour le moins intéressante. Je me suis livrée à une analyse comparée dont voici mes notes au brouillon.  

   Les Aventures de Télémaque (1699) comblent le vide laissé dans l’Odyssée par Homère qui abandonnait le fils d’Ulysse au chant IV, après l’avoir fait partir à la recherche de son père, pour ne le faire réapparaître qu’au chant XIV. Fénelon imagine donc les aventures du jeune homme. Son Télémaque est jeté par la tempête, en compagnie de son précepteur Mentor (qui n’est autre que la déesse Minerve, soucieuse de protéger le fils de son héros préféré) dans l’île de la déesse Calypso.

Extrait de Fénelon

   [Télémaque suivait la déesse environnée d'une foule de jeunes nymphes, au-dessus desquelles elle s'élevait de toute la tête, comme un grand chêne dans une forêt élève ses branches épaisses au-dessus de tous les arbres qui l'environnent. Il admirait l'éclat de sa beauté, la riche pourpre de sa robe longue et flottante, ses cheveux noués par-derrière négligemment mais avec grâce, le feu qui sortait de ses yeux et la douceur qui tempérait cette vivacité. Mentor, les yeux baissés, gardant un silence modeste, suivait Télémaque.]

   La grotte de la déesse était sur le penchant d'une colline. De là on découvrait la mer, quelquefois claire et unie comme une glace, quelquefois follement irritée contre les rochers, où elle se brisait en gémissant, et élevant ses vagues comme des montagnes. D'un autre côté, on voyait une rivière où se formaient des îles bordées de tilleuls fleuris et de hauts peupliers qui portaient leurs têtes superbes jusque dans les nues. Les divers canaux qui formaient ces îles semblaient se jouer dans la campagne : les uns roulaient leurs eaux claires avec rapidité ; d'autres avaient une eau paisible et dormante ; d'autres par de longs détours revenaient sur leurs pas, comme pour remonter vers leur source, et semblaient ne pouvoir quitter ces bords enchantés. On apercevait de loin des collines et des montagnes qui se perdaient dans les nues, et dont la figure bizarre formait un horizon à souhait pour le plaisir des yeux. Les montagnes voisines étaient couvertes de pampre vert qui pendait en festons : le raisin, plus éclatant que la pourpre, ne pouvait se cacher sous les feuilles, et la vigne était accablée sous son fruit. Le figuier, l'olivier, le grenadier, et tous les autres arbres, couvraient la campagne, et en faisaient un grand jardin. » (Livre premier)

Remarques

   Fénelon rêve de « la simplicité antique » de Virgile ou d’Homère. À vrai dire, cette simplicité est très élaborée ici. Cette « fantaisie ornementale » - comme l’appelle un critique – relève de l’esthétique baroque [1].

   Le succès d’un oeuvre se marquant au nombre de ses imitations, on peut citer Les Aventures de Télémaque (1922) d’Aragon qui réécrivent – Aragon dit « corrigent » - le modèle en prêtant aux personnages des conduites opposées. Métamorphose stylistique, pour ne pas dire surréaliste ! Avant lui, Marivaux et son Télémaque travesti (1776) font l’objet de l’admiration de Genette : « l’incontestable chef-d’œuvre du burlesque français. »

Extrait d'Aragon

   « La grotte de la déesse s’ouvrait au penchant d’un coteau. Du seuil, on dominait la mer, plus déconcertante que les sautes du temps multicolores entre les rochers taillés à pic, ruisselants d’écume, sonores comme des tôles et, sur le dos des vagues, les grandes claques de l’aile des engoulevents. Du côté de l’île s’étendaient des régions surprenantes : une rivière descendait du ciel et s’accrochait en passant à des arbres fleuris d’oiseaux ; des chalets et des temples, des constructions inconnues, échafaudages de métal, tours de briques, palais de carton, bordaient,  soutache lourde et tordue, des lacs de miel, des mers intérieures, des voies triomphales ; des forêts pénétraient en coin dans des villes impossibles, tandis que leurs chevelures se perdaient parmi les nuages ; le sol se fendait par-ci par-là au niveau des mines précieuses d’où jaillissait la lumière du paysage ; le grand air disloquait les montagnes et des nappes de feu dansaient sur les hauteurs ; les lampes-pigeons chantaient dans les volières et, parmi les tombeaux, les bâtiments, les vignobles, des animaux plus étranges que le rêve se promenaient avec lenteur. Le décor se continuait à l’horizon avec des cartes de géographie et les portants peu d’aplomb d’une chambre Louis-Philippe où dormaient des anges blonds et chastes comme le jour. »

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Notes

[1] De l’espagnol barrueco, perle de forme irrégulière.

Notes au brouillon

   * Aragon colle d’abord au texte puis s’en éloigne tout à fait.

   * Définir en quoi la description de Fénelon est baroque et ne pas oublier son intention pédagogique : instruire le fils du duc de Bourgogne => Nous avons ici un tableau pastoral digne de Virgile. Il s’agit d’une description dite « ornementale » avec une abondance d’adjectifs et de figures de style (à relever). Faire référence au « sens » de la description : de quel point de vue le paysage, qui s’ouvre comme un tableau devant la grotte, est-il décrit ?

   Analyse comparée

- Paysage

  • Fénelon = colline, mer calme puis tempête, rochers, intérieur des terres / Aragon = coteau, mer agitée, rochers, intérieur des terres. Première invention, premier élément surréaliste : les sautes du temps.
  • rivière, arbres, îles, canaux, campagne (pas de bâtiments) / la rivière descend du ciel, les arbres sont fleuris d’oiseaux, constructions, les canaux deviennent des lacs de miel, mers intérieures.
  • collines et montagnes se perdent dans les nues / leurs chevelures se perdent dans les nuages
  • paysage baigné d’une lumière douce implicite avec l’occurrence nues (utilisé deux fois) / lumière vive qui jaillit du sol
  • figures bizarres / régions surprenantes, villes impossibles
  • vignes, arbres fruitiers, campagne peignée et civilisée / sol fendu, mines
  • montagnes sages / les montagnes se fendent
  • pas d’oiseaux ni d’êtres vivants / volières pour des oiseaux-lampes, tombeaux, animaux
  • touche finale d’Aragon = cartes, roi Louis-Philippe, anges.

- Verbes

  • était (statique) / s’ouvrait (actif)
  • découvrait (paysage tranquille, qui se prête à une découverte paisible) / on dominait (le spectateur maîtrise le paysage)
  • découverte active (on voyait, on apercevait) / pas de verbes, disparition de la personne au profit de l’activité des choses, accumulation de groupes nominaux. Les sujets verbaux sont des choses et les verbes (pénétraient, se perdaient, se fendillaient, jaillissait, disloquait) traduisent l’inquiétude d’un paysage en mouvement
  • regard porté vers le haut (nues) / regard porté vers le bas
  • les canaux vivent / l’eau disparaît, paysage apocalyptique, figé
  • le spectateur, toujours présent (on) contemple le paysage tranquille / spectateur absent, remplacé par des animaux et des anges endormis.

- Divers

  • déesses et nymphes / anges
  • une vie simple et naturelle, un âge d’or, mythe pastoral, cadre bucolique, une Arcadie idyllique, utopie / l’industrie (mines), l’artifice, l’âge de fer ou de feu
  • harmonie / mélange des genres et des époques : chalets, temples, métal, briques, palais de carton (fin de la royauté), voies triomphales (rappel de l’Antiquité)
  • nature luxuriante / un trompe-l’œil

En architecture comme en littérature, le style baroque s’écarte des règles de la Renaissance, devient irrégulier, contourné, étrange, excessif, bizarre, excentrique, extravagant. L’écrivain baroque veut étonner le lecteur en apportant du nouveau, de l’inattendu, en raffinant sur les antithèses et les images traditionnelles.

Les fureurs de la passion dans Les Aventures de Télémaque

   Le livre VI des Aventures de Télémaque est consacré à la peinture de la passion amoureuse avec ses fureurs et ses dangers, passion dont Fénelon-Mentor apprend la maîtrise à Télémaque-duc de Bourgogne [1]. Son ouvrage se veut en effet pédagogique.

   Vénus, furieuse que Télémaque ait dédaigné les plaisirs de son île de Chypre, décide de se venger en lui démontrant sa puissance : elle envoie l’Amour, son fils, dans la grotte de Calypso. Celle-ci se prend de passion pour Télémaque qui, lui, aime Eucharis, l’une des nymphes de la déesse. Rude épreuve pour le héros soumis à l’influence pernicieuse des passions ainsi que pour Mentor qui doit lui faire retrouver le chemin de la vertu…

   Extrait du livre VI

   « Télémaque ne répondait à ce discours [2] que par des soupirs. Quelquefois il aurait souhaité que Mentor l’eût arraché malgré lui de l’île ; quelquefois il lui tardait que Mentor fût parti, pour n’avoir plus devant ses yeux cet ami sévère qui lui reprochait sa faiblesse. Toutes ces pensées contraires agitaient tour à tour son cœur, et aucune n’y était constante : son cœur était comme la mer, qui est le jouet de tous les vents contraires. Il demeurait souvent étendu et immobile sur le rivage de la mer, souvent dans le fond de quelque bois sombre, versant des larmes amères et poussant des cris semblables aux rugissements d’un lion. Il était devenu maigre ; ses yeux creux étaient pleins d’un feu dévorant ; à le voir pâle, abattu et défiguré, on aurait cru que ce n’était point Télémaque. Sa beauté, son enjouement, sa noble fierté s’enfuyaient loin de lui. Il périssait, tel qu’une fleur, qui, étant épanouie le matin, répandait ses doux parfums dans la campagne et se flétrit peu à peu vers le soir : ses vives couleurs s’effacent ; elle languit, elle se dessèche et sa belle tête se penche, ne pouvant plus se soutenir ; ainsi le fils d’Ulysse était aux portes de la mort.

   Mentor, voyant que Télémaque ne pouvait résister à la violence de sa passion, conçut un dessein plein d’adresse pour le délivrer d’un si grand danger. Il avait remarqué que Calypso aimait éperdument Télémaque et que Télémaque n’aimait pas moins la jeune nymphe Eucharis : car le cruel Amour, pour tourmenter les mortels, fait qu’on n’aime guère la personne dont on est aimé. Mentor résolut d’exciter la jalousie de Calypso.

   Eucharis devait emmener Télémaque dans une chasse. Mentor dit à Calypso :

— J’ai remarqué dans Télémaque une passion pour la chasse, que je n’avais jamais vue en lui, ce plaisir commence à le dégoûter de tout autre : il n’aime plus que les forêts et les montagnes les plus sauvages. Est-ce vous, ô déesse, qui lui inspirez cette grande ardeur ?

   Calypso sentit un dépit cruel en écoutant ces paroles, et elle ne put se retenir.

— Ce Télémaque - répondit-elle - qui a méprisé tous les plaisirs de l’île de Chypre, ne peut résister à la médiocre beauté d’une de mes nymphes. Comment ose-t-il se vanter d’avoir fait tant d’actions merveilleuses, lui dont le cœur s’amollit lâchement par la volupté et qui ne semble né que pour passer une vie obscure au milieu des femmes ?

   Mentor, remarquant avec plaisir combien la jalousie troublait le cœur de Calypso, n’en dit pas davantage, de peur de la mettre en défiance de lui ; il lui montrait seulement un visage triste et abattu. La déesse lui découvrait ses peines sur toutes les choses qu’elle voyait, et elle faisait sans cesse des plaintes nouvelles. Cette chasse, dont Mentor l’avait avertie, acheva de la mettre en fureur. Elle sut que Télémaque n’avait cherché qu’à se dérober aux autres nymphes pour parler à Eucharis. On proposait même déjà une seconde chasse, où elle prévoyait qu’il ferait comme dans la première. Pour rompre les mesures de Télémaque, elle déclara qu’elle en voulait être. Puis, tout à coup, ne pouvant plus modérer son ressentiment, elle lui parla ainsi :

— Est-ce donc ainsi, ô jeune téméraire, que tu es venu dans mon île pour échapper au juste naufrage que Neptune [3] te préparait et à la vengeance des dieux ? N’es-tu entré dans cette île, qui n’est ouverte à aucun mortel, que pour mépriser ma puissance et l’amour que je t’ai témoigné ? O divinités de l’Olympe et du Styx [4], écoutez une malheureuse déesse : hâtez-vous de confondre ce perfide, cet ingrat, cet impie. Puisque tu es encore plus dur et plus injuste que ton père [5], puisses-tu souffrir des maux encore plus longs et plus cruels que les siens ! Non, non, que jamais tu ne revoies ta patrie, cette pauvre et misérable Ithaque, que tu n’as point eu honte de préférer à l’immortalité [6] ! Ou plutôt que tu périsses, en la voyant de loin, au milieu de la mer ; et que ton corps, devenu le jouet des flots, soit rejeté, sans espérance de sépulture, sur le sable de ce rivage ! Que mes yeux le voient mangé par les vautours ! Celle que tu aimes le verra aussi : elle le verra ; elle en aura le cœur déchiré, et son désespoir fera mon bonheur !

   En parlant ainsi, Calypso avait les yeux rouges et enflammés : ses regards ne s’arrêtaient jamais en aucun endroit ; ils avaient je ne sais quoi de sombre et de farouche. Ses joues tremblantes étaient couvertes de taches noires et livides ; elle changeait à chaque moment de couleur. Souvent une pâleur mortelle se répandait sur tout son visage ; ses larmes ne coulaient plus, comme autrefois, avec abondance : la rage et le désespoir semblaient en avoir tari la source, et à peine en coulait-il quelqu’une sur ses joues. Sa voix était rauque, tremblante et entrecoupée. Mentor observait tous ses mouvements et ne parlait plus à Télémaque. Il le traitait comme un malade désespéré qu’on abandonne ; il jetait souvent sur lui des regards de compassion.

   Télémaque sentait combien il était coupable et indigne de l’amitié de Mentor. Il n’osait lever les yeux, de peur de rencontrer ceux de son ami, dont le silence même le condamnait. Quelquefois il avait envie d’aller se jeter à son cou et de lui témoigner combien il était touché de sa faute : mais il était retenu, tantôt par une mauvaise honte, et tantôt par la crainte d’aller plus loin qu’il ne voulait pour se tirer du péril : car le péril lui semblait doux, et il ne pouvait encore se résoudre à vaincre sa folle passion.

   Les dieux et les déesses de l’Olympe, assemblés dans un profond silence, avaient les yeux attachés sur l’île de Calypso, pour voir qui serait victorieux, ou de Minerve ou de l’Amour. L’Amour, en se jouant avec les nymphes, avait mis tout en feu dans l’île ; Minerve, sous la figure de Mentor, se servait de la jalousie, inséparable de l’amour, contre l’Amour même. Jupiter avait résolu d’être le spectateur de ce combat et de demeurer neutre. »

   Pistes de lecture

   * On peut démontrer que Mentor est à la fois lui-même, Dieu, Fénelon précepteur du duc de Bourgogne et Fénelon prêtre, ces multiples identités ou fonctions contribuant à l’intérêt du récit ainsi qu’à sa valeur morale (cf. Mentor devenu nom commun), morale dont on peut questionner l’efficacité.

   * En rapprochant les portraits de Télémaque et de Calypso, nous avons un tableau des ravages de la passion amoureuse qui n’est pas sans rappeler le théâtre de Racine. Il faut distinguer ce qui relève de la convention littéraire, de la tradition culturelle du temps et de l’authentique analyse psychologique, et s’interroger sur l’usage que fait l’auteur de la mythologie gréco-romaine.    

   * Fénelon voulait instruire et plaire, credo classique => s’interroger sur la conduite du récit qui ménage l’intérêt du lecteur et sur les ornements d’écriture qui viennent égayer la narration.

   * Roman d’initiation et somme pédagogique : à comparer avec Émile de Rousseau (1762) ; que doit Rousseau à son prédécesseur ? Le 18e siècle, ignorant le mysticisme chrétien de Fénelon, son esprit foncièrement aristocratique et ses aspirations à une réaction nobiliaire, y vit le procès de la civilisation corruptrice, la condamnation du luxe et de l’argent, le goût de la vie simple et naturelle, le rêve d‘un âge d’or, l’apologie de la fraternité et de l’égalité originelles. Bref, on fit à tort de Fénelon un précurseur des Lumières…  

   * Roman d’aventure et d’amour qui s’abandonne aux plaisirs de la fiction et aux séductions d’une esthétique baroque rappelant les sommes romanesques du premier 17e siècle (à comparer).  

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Notes

[1] Fils de Louis XIV.

[2] Mentor vient de lui dire : « Lâche fils d’un père si sage et si généreux [qui] menez ici une vie molle et sans honneur au milieu des femmes… »

[3] Dans l’Odyssée, le dieu de la mer poursuit sans cesse Ulysse de sa colère ; il en fait autant pour son fils.

[4] Le fleuve des Enfers est toujours pris à témoin par les dieux dans les circonstances solennelles.

[5] Ulysse s’était arraché aux bars de Calypso pour regagner son île natale.

[6] La déesse a offert l’immortalité à Télémaque comme autrefois à Ulysse.

Figures féminines dans Télémaque

   Mentor, le précepteur de Télémaque n’est autre que la déesse Minerve dans le texte (en fait Fénelon lui-même). La nymphe Calypso, fille d’Atlas, les accueille avec joie dans son île après la tempête. Au Livre IV, elle contraint Télémaque à prendre un repos dont Mentor profite pour endoctriner son pupille. Au Livre VI, Calypso s’éprend de Télémaque, qui aime la nymphe Eucharis. Jalousie, imprécations, violences, départ brusqué. Suivent des guerres diverses. Télémaque s’éprend ensuite d’Antiope, fille d’Idoménée (fondateur de Salente et banni de Crète par ses sujets), douce, noble et bien née, telle qu’il sied à la fiancée d’un prince.

   Mais, soucieux d’instruire Télémaque et de souligner ses faiblesses, Fénelon fait au précepteur et à l’élève une large place et relègue plus ou moins les personnages accessoires. Ils n’apparaissent que dans la mesure où ils servent les intentions de l’auteur et sont rarement décrits pour eux-mêmes.

   D’une manière générale, on sent que Télémaque ne vit pas pour lui-même, mais pour Mentor-Minerve, au fond le personnage essentiel du roman.

A propos de Calypso

Les dieux lui ont enjoint de renvoyer Ulysse qu’elle retenait prisonnier. Le texte commence par sa désolation : 

Extrait du Livre Premier

   « Calypso ne pouvait se consoler du départ d’Ulysse. Dans sa douleur, elle se trouvait malheureuse d’être immortelle. Sa grotte ne résonnait plus de son chant ; les nymphes[1] qui la servaient n’osaient lui parler. Elle se promenait souvent seule sur les gazons fleuris dont un printemps éternel bordait son île[2], mais ces beaux lieux, loin de modérer sa douleur, ne faisaient que lui rappeler le triste souvenir d’Ulysse, qu’elle y avait vu tant de fois auprès d’elle. Souvent elle demeurait immobile sur le rivage de la mer, qu’elle arrosait de ses larmes ; et elle était sans cesse tournée vers le côté où le vaisseau d’Ulysse, fendant les ondes, avait disparu à ses yeux […] »

Jugements sur Télémaque

   Ce qui fit écrire[3] à l’abbé Ledieu, secrétaire de Bossuet : « Tant de discours amoureux, tant de descriptions galantes, une femme qui ouvre la scène par une tendresse déclarée et qui soutient ce sentiment jusqu’au bout, et le reste du même genre, lui [à Bossuet] fit dire que cet ouvrage « tait indigne non seulement d’un évêque, mais d’un prêtre et d’un chrétien. »   

   « L’auteur de Télémaque n’était sans doute pas loin de penser que la vertu est naturelle à l’homme, et cette maxime n’avait rien qui pût l’effrayer puisque la nature est le reflet de la Sagesse infinie. Il croyait que pour réaliser une œuvre de beauté, il suffit à l’artiste de retrouver l’ordre naturel et de le dégager des artifices qui le corrompent. Les jeunes femmes qui apparaissent dans le Télémaque sont belles parce qu’elles portent les cheveux noués avec négligence et que leurs tuniques tombent autour de leur corps en larges et libres plis.  Les qualités qu’il reconnaît le plus volontiers à la beauté, c’est d’être « simple, négligée, modeste » et la grotte de Calypso est belle parce qu’elle ne paraît pas une œuvre de l’art. (A. Adam, Histoire de la littérature française au 17e siècle, tome 5, 1956).  


[1] Divinités des eaux, des bois et des campagnes.

[2] Homère l’appelle Ogygie. Les commentateurs ne sont pas d’accord sur son emplacement.

[3] Sans parler des autres passages.

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Date de dernière mise à jour : 22/09/2021