« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Analyse poème Infante (Samain)

Analyse du poème « Mon âme est une infante » (Albert Samain)

L'infante Marie-Thérèse (Velasquez)   Ce poème est inclus dans le XVIIe siècle car les infantes espagnoles ont fait les beaux jours des monarchies européennes (Marie-Thérèse, épouse de Louis XIV) et de la peinture.

   Il s'agit uniquement d'une analyse linéaire, d'une première lecture et de notes au brouillon. Le commentaire n'est pas rédigé.

 Mon âme est une infante

« Mon Âme est une infante en robe de parade,

Dont l'exil se reflète, éternel et royal,

Aux grands miroirs déserts d'un vieil Escurial,

Ainsi qu'une galère oubliée en la rade.

*

 Aux pieds de son fauteuil, allongés noblement,

Deux lévriers d'Écosse aux yeux mélancoliques

Chassent, quand il lui plaît, les bêtes symboliques

Dans la forêt du Rêve et de l'Enchantement.

*

 Son page favori, qui s'appelle Naguère,

Lui lit d'ensorcelants poèmes à mi-voix,

Cependant qu'immobile, une tulipe aux doigts,

Elle écoute mourir en elle leur mystère...

Le parc alentour d'elle étend ses frondaisons,

Ses marbres, ses bassins, ses rampes à balustres ;

Et, grave, elle s'enivre à ces songes illustres

Que recèlent pour nous les nobles horizons.

*

Elle est là résignée, et douce, et sans surprise,

Sachant trop pour lutter comme tout est fatal,

Et se sentant, malgré quelque dédain natal,

Sensible à la pitié comme l'onde à la brise.

*

Elle est là résignée, et douce en ses sanglots,

Plus sombre seulement quand elle évoque en songe

Quelque Armada sombrée à l'éternel mensonge,

Et tant de beaux espoirs endormis sous les flots.

Des soirs trop lourds de pourpre où sa fierté soupire,

Les portraits de Van Dyck aux beaux doigts longs et purs,

Pâles en velours noir sur l'or vieilli des murs,

En leurs grands airs défunts la font rêver d'empire.

Les vieux mirages d'or ont dissipé son deuil,

Et, dans les visions où son ennui s'échappe,

Soudain - gloire ou soleil -un rayon qui la frappe

Allume en elle tous les rubis de l'orgueil.

Mais d'un sourire triste elle apaise ces fièvres ;

El, redoutant la foule aux tumultes de fer,

Elle écoute la vie - au loin - comme la mer...

Et le secret se fait plus profond sur ses lèvres.

*

 Rien n'émeut d'un frisson l'eau pâle de ses yeux,

Où s'est assis l'Esprit voilé des Villes mortes ;

Et par les salles, où sans bruit tournent les portes,

Elle va, s'enchantant de mots mystérieux.

L'eau vaine des jets d'eau là-bas tombe en cascade,

Et, pâle à la croisée, une tulipe aux doigts,

Elle est là, reflétée aux miroirs d'autrefois,

Ainsi qu'une galère oubliée en la rade.

Mon Âme est une infante en robe de parade.»

Notes pour le commentaire : premier jet

Au jardin de l'infante (Albert Samain)   1) Ce que je sais :  

   * Samain travaille à la préfecture de la Seine. Son bureau, aux Tuileries, donne sur un parterre qu’on appelait « le Jardin de l’Infante » (1893). => Inspiration ? Titre du recueil. Peut servir dans l’introduction.

   * Au Jardin de l’Infante : tirage limité (335 exemplaires). => Relativement ignoré en son temps ainsi qu’aujourd’hui.

   * Admire Baudelaire : nostalgie, « spleen » et « idéal » mais symbolisme discret et rien d’hermétique. Proche également de Victor Hugo (poésie traditionnelle) et goût des décors somptueux qui l‘apparente aux Parnassiens. Reflète donc la complexité des mouvements littéraires qui s’entrecroisent en cette fin de siècle.   

2) Ce que je découvre au fil de ma lecture :

   * premier poème du recueil, sans titre, ouvre sur un univers. Lequel ?

   * alexandrins et quatrains structurent, enferment, enchâssent. Mais pas de forme fixe, nombre de strophes impair (11) : irrégularité qui convient au rêve.   

   * métaphore (âme / infante) enchâsse le poème (premier et dernier vers) => fermeture, clausule, tableau, cadre... Il s’agit d’un paysage d’âme. => Emploi de mots abstraits (« exil », rêve », « enchantement », « mystère », etc.)

   * points communs entre son âme et l’infante : pureté, solitude, grandeur, fierté. Cf. infra.

   * poème visuel : se déroule comme un tableau avec différentes scènes et réseaux lexicaux qui s’entrecroisent (unité). Concret + mots abstraits.  

   * autour des topoï de la vieille Espagne : Escurial (palais des rois d’Espagne), galère et rade (Armada : armée espagnole détruite par les Anglais, échec et fin de la toute-puissance espagnole sur les mers). On pense au poème « La Rose de l’infante » dans La Légende des siècles de Victor Hugo.

   * caméra (œil du peintre-poète) plonge dans l’intérieur : lévriers (animaux luxueux et élégants, assortis à sa « robe de parade » : univers noble et aristocratique. Donc, infante pas seule ? Si, car ne sont que ses compagnons de rêve. « Bêtes symboliques » : peut-être celles d’une tapisserie au mur (animaux mystérieux et étranges, licorne, etc. On pense en effet à la tapisserie de La Dame à la licorne du 15e siècle, au Roman de la Rose ou aux poèmes de Charles d’Orléans). Constantes allusions à une réalité mystérieuse au-delà des choses visibles dans la suite du poème, grand pouvoir de suggestion, comme si le poète affleurait cet univers inconnu, l’entrouvrant à peine.  

   * présence d’un page : il ne rompt pas sa solitude mais l’accompagne et la souligne (« à mi-voix »). Son nom « Naguère » => nostalgie du passé. Page = personnification de ce sentiment ? « Mystère » de ces poèmes « ensorcelants ».

   * une tulipe et une seule : symbole de beauté glacée, hiératique, pas de parfum ni de luxuriance végétale (mort). Dans le langage des fleurs, symbole de l’amour selon la couleur. Pas de couleur ici. Allusion peut-être à l’amour vain de Samain pour une jeune veuve mais cette signification sentimentale passe au second plan (ne pas surinterpréter !) Chez Hugo, l’infante tient une rose. Cf. aussi le vers de Vigny : « Marche à travers les champs avec une fleur à la main » (« La Maison du berger », Les Destinées). 

   * extérieur : parc et eau (luxe). Nature artificielle : « marbres », « rangs à balustres ». Aspect minéral, Pourtant « frondaisons » (nature et vie) mais poursuit son rêve (« songes illustres ») : infante pas intéressée par la beauté du présent.

   * pause dans la description, arrêt sur image avec l’adjectif « fatal » (deux strophes abstraites). Orgueil de sa destinée (« dédain natal ») + pitié => « pleurs ». Fragilité humaine, sensibilité. Réveil du passé glorieux mais « mensonges » de l’espoir. Acceptation.

   * reprise de la description en mouvement. Se promène à travers le palais comme à travers le temps : couchers de soleil, « rubis ». Symbole du rouge éclatant de la splendeur passée et sursaut de fierté. Polyvalence des « vieux mirages d’or » (l’or inca, l’or du soleil couchant, l’ancienne richesse) Tableaux d’ancêtres, allusion à Van Dyck, peintre de cour (Pays-Bas espagnols) et aux habits somptueux des personnages (noir sur or). Géographie (Ecosse, Hollande, Espagne) => horizons lointains, empire défunt.

   * mais lucide : infante ne se laisse pas aller à l’ancienne gloire liée aux batailles (« foule aux tumultes de fer ») et retour à la solitude.   

   * => lumière du soleil vs eau symbolique : « l’eau pâle de ses yeux » = mort. Cf. 1e strophe : « miroirs déserts », « se reflète » (simple apparence de vie) + eau réelle des « bassins » (4e strophe) mais pas eau courante (donc morte) + puissance maritime (« galère », « rade », « Armada », « flots », « mer ») + eau des « sanglots », « eau vaine des jets d’eau », « cascade »). Quelles sont ces « Villes mortes » qui assoient l’allégorie d’un « Esprit voilé » ? Peut-être les anciennes cités espagnoles en Amérique du sud, mais surtout (avec l’eau et la brume) les villes hollandaises, comme Bruges avec ses canaux. 

   * Ombre morte qui erre à travers les salles silencieuses et à travers le passé enfui de l’ancienne gloire). Un autre univers, celui du rêve : les mots des poèmes gardent leur mystère qui équivaut au silence. Pourtant « sans bruit tournent les portes » : présences devinées, mais aucun être visible. L’infante vit dans le monde fantomatique du passé où elle est exilée.   

   * autre univers dans lequel elle se tient, derrière la vitre « à la croisée » : eau « là-bas » => « eau vaine » en dépit des « cascades » (symbole de la vie) ou des « jets d’eau » joyeux évoquant la fête. Refuse le présent, le monde réel et la vie qu’elle aperçoit à travers la fenêtre. Rémanence de la tulipe : rien n’a changé. Reprise de la « rade » vide sauf la « galère oubliée », elle. Enfermée, prisonnière (volontaire), épinglée dans un tableau éternel. N’attend rien (« sans surprise », simplement là, comme un témoin des jours anciens.  

   * parallèle infante / âme en exil qui présentent une nature contrastée :

- gravité, résignation, douceur, fatalité, pas de combat, soupir, apaisement, « sourire triste », pâleur.

- enivrement, dédain, fierté, orgueil (« rubis »), fièvre

- sensibilité, larmes, tristesse (« sombre »)

- rêve, « visions » (échappatoire à l’ennui), secret, enchantement du mystère.

- mais ne pas trop insister sur « l’âme » du poète qui, emporté par sa vision, s’assimile aussitôt à la jeune fille.  

Quel plan adopter ?

   * Succession de scènes et de tableaux avec récurrences (promenade, mouvements : assise, marche, se promène et de nouveau immobile mais debout) et progression ?

   * Analyse des thèmes ? Ce deuxième plan peut paraître plus judicieux pour un commentaire mais c’est peut-être aller à l’encontre du poème qui se présente comme un tableau figé en dépit du déplacement de l’infante, ce qui n’exclut pas revirements et retouches au long du parcours mais qui, en définitive, se clôt come il a commencé : jardin et vers initial.

   * Une autre possibilité (qui reviendrait à travailler intelligemment par thèmes) : les trois univers  

- l’ancienne Espagne, sa grandeur, etc...

- enthousiasme et mouvement, rêves et espoirs

- fatalité et acceptation      

   * Ou encore : un double exil, dans le temps et dans l’espace (mais peut-être trop dialectique).

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