« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

La Fontaine contre l'astrologie

Dans cette fable (1668), La Fontaine combat l’astrologie.

L'astrologue qui se laisse tomber dans un puits

Un Astrologue un jour se laissa choir

Au fond d'un puits. On lui dit : « Pauvre bête,

Tandis qu'à peine à tes pieds tu peux voir,

Penses-tu lire au-dessus de ta tête ? »

*

Cette aventure en soi, sans aller plus avant,

Peut servir de leçon à la plupart des hommes.

Parmi ce que de gens sur la terre nous sommes,

Il en est peu qui fort souvent

Ne se plaisent d'entendre dire

Qu'au Livre du Destin les mortels peuvent lire.

Mais ce Livre, qu'Homère et les siens ont chanté[1],

Qu'est-ce, que le hasard parmi l'Antiquité,

Et parmi nous la Providence ?

Or du hasard il n'est point de science :

S'il en était, on aurait tort

De l'appeler hasard, ni fortune, ni sort,

Toutes choses très incertaines.

Quant aux volontés souveraines

De Celui qui fait tout, et rien qu'avec dessein,

Qui les sait, que lui seul ? Comment lire en son sein ?

Aurait-il imprimé sur le front des étoiles

Ce que la nuit des temps enferme dans ses voiles ?

À quelle utilité[2] ? Pour exercer l'esprit

De ceux qui de la sphère et du globe ont écrit ?

Pour nous faire éviter des maux inévitables ?

Nous rendre, dans les biens[3], de plaisir incapables ?

Et, causant du dégoût pour ces biens prévenus,

Les convertir en maux devant qu'ils soient venus ?

C'est erreur, ou plutôt c'est crime de le croire[4].

Le firmament se meut[5] ; les astres font leur cours,

Le soleil nous luit tous les jours,

Tous les jours sa clarté succède à l'ombre noire,

Sans que nous en puissions autre chose inférer

Que la nécessité de luire et d'éclairer,

D'amener les saisons, de mûrir les semences,

De verser sur les corps[6] certaines influences.

Du reste, en quoi répond au sort toujours divers

Ce train toujours égal dont marche l'univers ?

Charlatans, faiseurs d'horoscope,

Quittez les Cours des Princes de l'Europe ;

Emmenez avec vous les souffleurs[7] tout d'un temps.

Vous ne méritez pas plus de foi que ces gens.

Je m'emporte un peu trop : revenons à l'histoire

De ce Spéculateur qui fut contraint de boire.

Outre la vanité de son art mensonger,

C'est l'image de ceux qui bâillent aux chimères,

Cependant qu'ils sont en danger,

Soit pour eux, soit pour leurs affaires.

(La Fontaine, Fables, Livre II, Fable 14)

Sources de La Fontaine :

- Nevelet (Quatrain de Babrius, « L’Observateur des étoiles et le Voyageur ») : « Tout attentif aux étoiles, un observateur d’astres par mégarde tomba dans un puits, mais un voyageur survenant dit à l’astrologue qui gémit : « Comment, tu appliques si bien ton esprit là-haut et tu ne vois pas la terre ! « Moralité : la plupart ignorent le présent et se vantent de connaître l’avenir. »

- Ésope, L’Astronome

- Faërne, Fables, « L’Astrologue ».


[1] Homère et les poètes qu’il a inspirés ont fait une grande place au destin.

[2] Ici La Fontaine entreprend de démontrer l’invraisemblance et l’absurdité de l’hypothèse qu’il vient de formuler.

[3] Dans le bonheur. Cicéron (Tusculanes) a montré que, si par malheur les hommes pouvaient prévoir leurs infortunes à venir, ils en perdraient la jouissance de leur bonheur présent.

[4] De croire que Dieu ait voulu nous rendre incapables de bonheur et nécessairement malheureux.

[5] Si l’on admet l’explication du monde donnée avant Copernic par les Anciens, ou si l’on s’en tient aux indications du sens commun. 

[6] Chose remarquable, tout en combattant l’astrologie judicaire, La Fontaine retient une autre sorte d’astrologie qui suppose les organismes vivants sous l’influence des astres...

[7] Alchimistes (qui soufflent le feu de leurs fourneaux). Sous couleur de chercher la pierre philosophale, certains se livraient à des opérations criminelles, comme il s’en rencontrait dans les procès d’emprisonnement ou de sorcellerie d’alors, celui par exemple de la Voisin. Le vœu de La Fontaine a été exaucé. Sous l’influence de la terreur répandue par ces affaires retentissantes, l’édit suivant fut publié en juillet 1682 : « Toutes personnes se mêlant de deviner et se disant devins et devineresses videront incessamment le royaume. Défense à toutes personnes autres que médecins, apothicaires et professeurs en chimie de posséder un laboratoire et de se livrer à toute autre distillation que celle de l’eau-de-vie et de l’esprit-de-vin. »

* * * 

Analyse astrologique de La Fontaine

 

Date de dernière mise à jour : 06/03/2024