« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Desmarets - La Vérité des fables

   On a oublié Jean Desmarets de Saint-Sorlin, qui fit l’objet d’un Master 2 de Littératures françaises en Sorbonne (UFR de littérature française et comparée), présenté par Mlle J.L. sous la direction de M. O.M. en juillet 2919 (Mention TB). L’autrice s’est principalement intéressée à l’ouvrage La Vérité des Fables ou l’Histoire des Dieux de l’Antiquité – Approches critiques.  

   Mlle J.L. nous a autorisé à soumettre ici quelques-unes de ses réflexions. Nous ne retiendrons que celles en rapport direct avec l’objectif de notre site.   

  • Desmarets a publié trois romans (que la critique actuelle appelle « long roman ») : Ariane (1632), imitation d’un roman grec (qui connut un succès considérable), Rosane (1639), histoire tirée de celle des Romains et des Perses (qualifié de « roman héroïque » par Charles Sorel) et enfin La Vérité des Fables (1648), romans qui font partie du mouvement baroque. En ce qui concerne ce dernier, on peut l’assimiler à un roman moderne dans la mesure « où une place primordiale est accordée à la caractérisation des personnages, jusqu’alors largement délaissée. »
  • Ce roman est « l’œuvre d’un bel esprit pour les beaux esprits : un auteur érudit écrit pour un cercle restreint de lecteurs d’élection. »
  • La Vérité des Fables souhaite participer à « l’élévation morale de ses lecteurs, et en particulier de ses lectrices […], notamment par la figure de ses héroïnes « qui apparaissent comme autant d’images de la femme chrétienne dont il est bon de s’inspirer, ancrage religieux inédit car traditionnellement, le roman est considéré comme un genre trop bas pour traiter d’un sujet aussi sérieux[1]. »
  • D’une manière générale, on peut considérer que les romans de Desmarets relèvent de l’idéalisme et utilisent des personnages extraordinaires dans des situations singulières. Ecrits sur le modèle de L’Astrée d’Honoré d’Urfé (1607-1627), ces ouvrages déploient « le modèle du travestissement […] ainsi que des poèmes héroïques et du théâtre ». Qui est l’homme ? Qui est la femme ? Ainsi sont sous-entendus les rapports charnels.   
  • Dans les années 1640, les Métamorphoses d’Ovide, source de La Vérité des Fables, a déjà connu maintes éditions et traductions. Desmarets utilise les caractéristiques classiques du mythe. Mais il ne propose pas de réécriture, se contentant de s’y référer afin de divertir et d’instruire également son lecteur.      
  • Une question se pose : imiter, est-ce créer ? Oui, dans la mesure où il faut que l’imitation soit « accompagnée d’industrie[2] », autrement dit d’un travail artistique.
  • La Vérité des fables est à la fois un roman d’aventures, de mœurs et pastoral. On peut le qualifier aujourd’hui de roman baroque ou de long roman.
  • Desmarets ne propose pas de développement érudit sur les dieux de l’Antiquité. Il crée des personnages au caractère divin qui lui permettent d’utiliser un style noble dans un genre, le roman, encore sous-estimé au lectorat féminin et mondain. 
  • Dans la préface, il use du topos traditionnel du manuscrit retrouvé à la double fonction : le récit est une fiction vraisemblable. Ainsi, il substitue aux figures mythologiques fabuleuses une réalité historique et romanesque. « Je vous envoie mon histoire accomplie, que je nomme sacrée, mais à contresens », écrit-il dans cette préface.       
  • Ses personnages sont émancipés et modernes, avec un incipit in medias res.     
  • Pourquoi de si longs romans (L’Astrée) ? Ils ont une visée encyclopédique avec de nombreuses digressions savantes de natures différentes qui interrompent le cours du récit (histoires, lettres, poèmes, harangues, descriptions). 
  • D’où la diversité essentielle au roman baroque (sens conventionnel : bizarre, ornemental, anti conventionnel).
  • Clovis ou la France chrétienne (1657), quant à lui, relève de l’épopée. Il en est de même pour Marie-Madeleine (1669-1673) et Esther (1670). Au 17e siècle, le genre épique à imiter est représenté par la Jérusalem délivrée du Tasse (épopée chrétiennes) et non plus par les poèmes d’Homère ou Virgile. Dans son Discours sur l’art poétique (1587) et son Discours du poème héroïque (1594), Le Tasse présente ses principales idées sur le genre épique : le sujet est tiré de l’histoire (pas trop récente ni trop ancienne) avec une dimension guerrière qui l’emporte sur la dimension sentimentale.   
  • Pour Aristote (Poétique), la notion de personnage, secondaire, est soumise à l’action. Longtemps après lui, le personnage est réduit à un nom, dénué de psychologie et agent de l’action. Ce n’est qu’à partir de Mme de La Fayette (La Princesse de Clèves), que les personnages s’intériorisent.  
  • Dans l’« Avis au lecteur » du Promenoir de Monsieur de Montaigne, Marie de Gournay évoque le « roman discourant », précis et exhaustif comme une encyclopédie des savoirs : narrations aux discours variés, narrateurs omniscients ou internes, formes diverses (prose, vers, monologue, dialogue), sujets divers (amours, morale, société).
  • Quant à Madeleine de Scudéry, elle confronte deux personnages dans La Promenade de Versailles (1669), Glicère, la mondaine, et Télamon, le docte. Télamon s’adonne aux descriptions « des beaux projets, des belles maisons, des jardins, des bois, des fontaines et de tout ce qui fait la beauté du Palais de la campagne » ; Glicère ne s’intéresse qu’aux aventures de ses héros. Peut-on déjà envisager un lectorat multiple, aux habitudes de lecture variées ? La question reste posée.      
  • Au 17e, règne la conception néo-platonicienne de l’amour : le beau, le savoir, le vrai, tels sont les objectifs de la quête amoureuse. D’où des amours platoniques, chastes et solides qui se rapprochent de l’amour chrétien.
  • Pour Desmarets, la vertu est une valeur souveraine : il dédicace La Vérité des Fables à Anne d’Autriche qui incarne pour lui « la plus haute des vertus », vertu dans le sens de la morale antique (cf. Cicéron) : prudence, sagesse, justice, courage, tempérance. Ces qualités rejoignent celles de « l’honnête homme » du 17e siècle. On peut citer à cet égard L’honnête homme ou l’Art de plaire à la cour (Nicolas Fret, 1630) ou encore Artamène ou le grand Cyrus de Madeleine de Scudéry (1649-1653). Il s’agit de plaire également en société « tout en ne se piquant de rien », dit La Rochefoucauld, et savoir converser avec les femmes, précise Mlle de Scudéry.

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[1] Le roman est encore considéré comme une littérature de divertissement.  

[2] François Ogier, Apologie pour monsieur Guez de Balzac (1627).

Date de dernière mise à jour : 02/08/2023