« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Buffon et le style (ajout)

   « Le style, c’est l’homme même », déclare Buffon.

   Qu’entend-il par-là ?  Que le langage est un symptôme de subjectivité ? Certes non ! Lisons ce qui suit :

   « Il faut agir sur l’âme et toucher le cœur en parlant à l’esprit. Le style n’est que l’ordre et le mouvement qu’on met dans ses pensées. Si on les enchaîne étroitement, si on les serre, le style devient ferme, nerveux et concis ; si on les laisse se succéder lentement, et ne se joindre qu’à la faveur des mots, quelques élégants qu’ils soient, le style sera diffus, lâche et traînant […]

   Rien n’est plus opposé au beau naturel que la peine qu’on se donne pour exprimer des choses ordinaires ou communes d’une manière singulière ou pompeuse ; rien ne dégrade plus l’écrivain. Loin de l’admirer, on le plaint d’avoir passé tant de temps à faire de nouvelles combinaisons de syllabes, pour ne dire que ce que tout le monde dit. Ce défaut est celui des esprits cultivés, mais stériles : ils ont des mots en abondance, point d’idées ; ils travaillent donc sur les mots et s’imaginent avoir combiné des idées parce qu’ils ont arrangé des phrases, et avoir épuré le langage quand ils l’ont corrompu en détournant les acceptions. Ces écrivains n’ont point de style, ou, si l’on veut, ils n’en ont que l’ombre. Le style doit graver des pensées : ils ne savent que tracer des paroles […]

   Bien écrire, c’est à la fois bien penser, bien sentir et bien rendre ; c’est avoir en même temps de l’esprit, de l’âme et du goût. Le style suppose la réunion et l’exercice de toutes les facultés intellectuelles […]

  Le ton n’est que la convenance du style à la nature du sujet : il ne doit jamais être forcé ; il naîtra naturellement du fond même de la chose, et dépendra beaucoup du point de généralité auquel on aura porté ses pensées […]

  Les ouvrages bien écrits seront les seuls qui passeront à la postérité : la quantité des connaissances, la singularité des faits, la nouveauté même des découvertes, ne sont pas de sûrs garants de l’immortalité : si les ouvrages qui les contiennent ne roulent que sur de petits objets, s’ils sont écrits sans goût, sans noblesses et sana génie, ils périront, parce que les connaissances, les faits et les découvertes s’enlèvent aisément, se transportent et gagnent même à être mises en œuvre par des mains plus habiles. Ces choses sont hors de l’homme, le style est l’homme même (1)

(Discours sur le style, prononcé à l’Académie française par M. de Buffon le jour de sa réception (25 août 1753).

_ _ _ Fin de citation.

   Donc, il faut une symbiose parfaite entre le corps du texte et une âme : les styles relèvent de l’accessoire, du choix, du facultatif, du formel, le style engage la validité d’une pensée, la qualité d’une intelligence.  

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[1] Les italiques sont de Buffon. Nous les avons mises en gras.  

Date de dernière mise à jour : 29/02/2024