« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Mme de Sévigné

Mme de Sévigné est toujours d'actualité

   Incontournable Sévigné ! Divine marquise ! Elle laissa ses Lettres bien entendu, qui nous rendent le Grand Siècle si familier avec une pléthore d'anecdotes prestement écrites dans un style enlevé, témoignage essentiel sur la vie quotidienne du beau monde, les petits et grands événements de la Cour. Mais elle nous ouvre aussi son cœur de mère, chose bien singulière en ce temps où l'amour maternel n'était franchement pas à l'ordre du jour.

   On peut la trouver superficielle. C'est notamment le cas de Napoléon qui considérait ses Lettres comme « des œufs à la neige » et manquant de solidité : il leur préférait la correspondance de Mme de Maintenon... 

   Remarque : selon les éditions, les Lettres comportent de légères divergences.  

Attribué tous les ans, le Prix Sévigné couronne la publication d’une correspondance inédite.

http://www.fondationlaposte.org/index.php

Le Festival de la Correspondance de Grignan est partenaire du Prix Sévigné.

http://www.grignan-festivalcorrespondance.com/

Exposition sur Mme de Sévigné à Grignan

Découvrez l'exposition "Sévigné, épistolière du Grand Siècle", du 25 mai au 22 octobre 2017, au château de Grignan

https://www.franceculture.fr/evenement/sevigne-epistoliere-du-grand-siecle#xtor=EPR-2-[LaLettre14082017]

Signature de Mme de Sévigné

Intérêt des Lettres de Mme de Sévigné

Les Lettres de la marquise offrent plusieurs intérêts :

Une chronique parisienne

   Elles tiennent lieu de gazette à ses correspondants. On y trouve racontés les menus faits de la chronique parisienne : mariage manqué de la Grande Mademoiselle, suicide de Vatel (lettres des 24 et 26 avril 1671), exécution de la marquise de Brinvilliers dont le procès se rattache à la fameuse « Affaire des poisons », dans laquelle sont compromises la haute société parisienne et même Mme de Montespan (lettres des 17 et 22 juillet 1676), renseignements sur les modes. Elle rapporte aussi les grands événements de l'histoire contemporaine : procès de Fouquet (lettres de novembre et décembre 1664), mort de Turenne (lettre du 28 août 1675), mariage de la fille de Louvois (lettre du 29 novembre 1679), mort de ce dernier (lettre du 26 juillet 1691), passage du Rhin (lettres des 17 et 20 juin et du 3 juillet 1672), révolte de Bretagne.

Impressions de province

   Avec le Voyage en Languedoc et en Provence de Chapelle et Bachaumont (1656), la Relation d'un voyage de Paris en Limousin de La Fontaine (1665) et les Mémoires sur les Grands-Jours d'Auvergne de Fléchier (1665), la correspondance de Mme de Sévigné est l'un des plus précieux documents de la littérature du XVIIe siècle sur la vie provinciale : Grignan, Marseille, Vichy, etc.  

Son amour maternel

   L'amour passionné de Mme de Sévigné pour sa fille - qui en juge parfois importune la manifestation débordante - est le sentiment qui remplit toute sa correspondance.

Lettres des 6, 9 et 13 février, des 4 et 24 mars 1671 : il s'agit de la première séparation. Monsieur de Grignan a été nommé lieutenant général en Provence le 29 novembre 1669. Mme de Grignan, qui vient d'avoir une fille, Marie-Blanche, ne rejoint son mari que le 5 février 1671. C'est la première fois depuis son mariage en 1668 que la fille se sépare de sa mère. Mme de Sévigné souffre de la séparation beaucoup plus que Mme de Grignan, de nature froide et indifférente. En dédiant à mademoiselle de Sévigné sa fable « Le Lion amoureux » (IV, I), La Fontaine n'a pas caché ce trait de caractère :

« Sévigné, de qui les attraits

Servent aux Grâces de modèle,

Et qui naquîtes toute belle,

A votre indifférence près... »

   Voici un extrait de la lettre du 24 mars 1671 : « Je me suis mise à vous écrire au bout de cette petite allée sombre que vous aimez, assise sur ce siège de mousse où je vous ai vue quelquefois couchée. Mais, mon Dieu, où ne vous ai-je point vue ici ? et de quelle façon toutes ces pensées me traversent-elles le cœur ? Il n'y a point d'endroit, point de lieu, ni dans la maison, ni dans l'église, ni dans le pays, ni dans le jardin, où je ne vous aie vue. Il n'y en a point qui ne me fasse souvenir de quelque chose de quelque manière que ce soit. Et de quelque façon que ce soit aussi, cela me perce le cœur. Je vous vois ; vous m'êtes présente. Je pense et repense à tout. Ma tête et mon esprit se creusent, mais j'ai beau tourner, j'ai beau chercher, cette chère enfant que j'aime avec tant de passion est à deux cents lieues de moi ; je ne l'ai plus. Sur cela, je pleure sans pouvoir m'en empêcher ; je n'en puis plus, ma chère bonne. Voilà qui est bien faible, mais pour moi, je ne sais point être forte contre une tendresse si juste et si naturelle. Je ne sais en quelle disposition vous serez en lisant cette lettre. Le hasard peut faire qu'elle viendra mal à propos, et qu'elle ne sera peut-être pas lue de la manière qu'elle est écrite. A cela je ne sais point de remède. Elle sert toujours à me soulager présentement ; c'est tout ce que je lui demande... »

   Lettre du 5 octobre 1673 [non citée ici] : seconde séparation. Mme de Sévigné vient de quitter Grignan après être restée plus d'un an auprès de sa fille (de juillet 1672 à octobre 1673).

   Dans la lettre du 21 juin 1671, elle écrit : « ... Je vous écris deux fois la semaine, et mon ami Dubois prend un soin extrême de notre commerce, c'est-à-dire de ma vie [...]. Écrivez-moi... non, ne m'écrivez pas ! » Ainsi Mme de Sévigné regrette que les lettres de sa fille ne soient pas aussi intimes et pleines de confidences que les siennes.

   Elle lui écrit en 1679 : « Il est vrai que je suis quelquefois blessée de l'entière ignorance où je suis de vos sentiments, du peu de part que j'ai à votre confiance ; j'accorde avec peine l'amitié que vous avez pour moi avec cette séparation de toute sorte de confidence. Je sais que vos amis sont traités autrement. Mais enfin, je me dis que c'est mon malheur, que vous êtes de cette humeur, qu'on ne change point ; et plus que tout cela, ma bonne, admirez la faiblesse d'une véritable tendresse, c'est qu'effectivement votre présence, un mot d'amitié, un retour, une douceur, me ramène et me fait tout oublier... »

Ses amitiés

   Mme de Sévigné a un cercle assez restreint d'amis véritables, auxquels elle témoigne une affection fidèle :

* Le comte de Bussy-Rabutin : lettre du 27 février 1679. Le comte est disgracié par Louis XIV à cause de quelques pamphlets licencieux. Son exil dure dix-sept ans.

* Monsieur de Coulanges : lettre du 26 avril 1695. Emmanuel de Coulanges est son cousin germain. Il épouse une cousine de Louvois. Mme de Sévigné parle souvent dans ses lettres de ce couple qu'elle apprécie.

* Le cardinal de Retz : elle y fait allusion dans une lettre à Bussy-Rabutin du 25 août 1679. Il est le parrain de sa petite-fille Pauline.

* La Rochefoucauld et Mme de La Fayette, qui vivent dans l'intimité. Elle fait allusion à Mme de La Fayette dans une lettre à Mme de Grignan du 30 mai 1672.

Son amour de la nature

   Le sentiment de la nature est presque absent de la littérature du 17e siècle, qui s'intéresse surtout à la vie de société et à la peinture de l'âme humaine, et n'admet d'ailleurs pas l'expression des sentiments personnels. À peine en trouve-t-on des traces dans quelques vers de Saint-Amant et de Théophile de Viau, dans plusieurs lettres de Mme de Sévigné, dans d'assez nombreuses fables de La Fontaine et dans certains passages de Bossuet et de Fénelon, où l'on rencontre des souvenirs bibliques et des réminiscences de l'antiquité gréco-latine.

   La marquise décrit le printemps, l'éclosion joyeuse des bourgeons et le « triomphe du mois de mai » (lettres du 29 avril 1671 et du 19 avril 1690), la fantasmagorie du clair de lune (lettre du 12 juin 1680), la gaieté de la fenaison (lettre du 22 juillet 1671), la tristesse des arbres que l'on abat (lettre du 27 mai 1680).

Réflexions philosophiques

    On comprend sa prédilection pour les moralistes, comme Pascal, La Rochefoucauld ou Nicole, quand on lit certaines de ses lettres, où elle sème, chemin faisant, de graves et substantielles réflexions sur la vie (lettre à Bussy-Rabutin du 6 août 1675), la vieillesse (lettre du 27 janvier 1687) au Président de Moulceau, Président de la Chambre des comptes à Montpellier) et la mort (lettre à Mme de Grignan du 16 mars 1672).

   Voici un extrait de cette dernière : « Vous me demandez, ma chère enfant, si j’aime toujours bien la vie. Je vous avoue que j’y trouve des chagrins cuisants ; mais je suis encore plus dégoûtée de la mort : je me trouve si malheureuse d’avoir à finir tout ceci par elle que si je pouvais retourner en arrière je ne demanderais pas mieux. Je me trouve dans un engagement qui m’embarrasse : je suis embarquée dans la vie sans mon consentement ; il faut que j’en sorte, cela m’assomme ; et comment en sortirai-je ? Par où ? Par quelle porte ? Quand sera-ce ? En quelle disposition ? Souffrirai-je mille et mille douleurs, qui me feront mourir désespérée ? Aurai-je un transport au cerveau ? Mourrai-je d’un accident ? Comment serai-je avec Dieu ? Qu’aurai-je à lui présenter ? La crainte, la nécessité feront-elles mon retour vers lui ? N’aurai-je aucun autre sentiment que celui de la peur ? Que puis-je espérer ? Suis-je digne du paradis ? Suis-je digne de l’enfer ? Quelle alternative ! Quel embarras ! Rien n’est si fou que de mettre son salut dans l’incertitude ; mais rien n’est si naturel, et la sotte vie que je mène est la chose du monde la plus aisée à comprendre. Je m’abîme dans ces pensées, et je trouve la mort si terrible que je hais plus la vie parce qu’elle m’y mène que par les épines qui s’y rencontrent. Vous me direz que je veux vivre éternellement. Point du tout ; mais si on m’avait demandé mon avis, j’aurais bien aimé à mourir entre les bras de ma nourrice : cela m’aurait ôté bien des ennuis et m’aurait donné le ciel bien sûrement et bien aisément ; mais parlons d’autre chose... » 

Ses goûts littéraires

   Elle porte de nombreux jugements sur les écrivains de son temps. Bien que parfois sujets à caution [Note : elle préfère Nicole à Pascal, les dernières tragédies de Corneille aux pièces de Racine, les sermons de Bourdaloue à ceux de Bossuet, les romans de La Calprenède à celui de Mme de La Fayette], ils restent intéressants et significatifs de l'époque.

* Sur Corneille et Racine 

   « ... Il y a pourtant dans Bajazet des choses agréables, et rien de parfaitement beau, rien qui enlève, point de ces tirades de Corneille qui font frissonner. Ma fille, gardons-nous bien de lui comparer Racine ; sentons-en la différence. Il y a des endroits froids et faibles, et jamais il n'ira plus loin qu'Alexandre et qu'Andromaque. Bajazet est au-dessous, au sentiment de bien des gens, et au mien, si j'ose me citer. Racine fait des comédies [Note : au sens de pièces de théâtre. Le mot est resté avec ce sens dans certaines appellations : rue de la Comédie pour rue du Théâtre, la Comédie française pour le Théâtre Français] pour la Champmeslé [Note : La Champmeslé, 1641-1698, tragédienne célèbre dont on connaît la liaison avec Racine] : ce n'est pas pour les siècles à venir. Si jamais il n'est plus jeune, et qu'il cesse d'être amoureux, ce ne sera plus la même chose. Vive donc notre vieil ami ! pardonnons-lui de méchants vers, en faveur des divines et sublimes beautés qui nous transportent : ce sont des traits de maître qui sont inimitables. Despréaux en dit encore plus que moi ; et en un mot, c'est le bon goût : tenez-vous y... » (Lettre à Mme de Grignan du 16 mars 1672).

[Note : Tout en restant fidèle à son admiration de jeunesse pour Corneille, Mme de Sévigné finit par se montrer plus juste à l'égard de Racine, surtout quand elle le voit très apprécié à la cour : voir la lettre du 21 février 1689, où elle raconte la représentation d'Esther à Saint-Cyr.]

* Sur Nicole : 

   « ... Je lis M. Nicole avec un plaisir qui m'enlève... Ce qui s'appelle chercher dans le fond du cœur avec une lanterne, c'est ce qu'il fait : il nous découvre ce que nous sentons tous les jours, ce que nous n'avons pas l'esprit de démêler ou la sincérité d'avouer ; en un mot, je n'ai jamais vu écrire comme ces messieurs-là. » [Note : les Messieurs de Port-Royal) (lettre à Mme de Grignan du 30 septembre 1671).

   « ... Devinez ce que je fais : je recommence ce traité [les Essais de morale, de Nicole] : je voudrais bien en faire un bouillon et l'avaler... » (Lettre à Mme de Grignan du 4 novembre 1671).

* Sur le cardinal Bourdaloue :

   « ... J'ai été cette nuit aux Minimes [Note : à l'Église des Minimes de la Place Royale] : je m'en vais en Bourdaloue ; on dit qu'il s'est mis à dépeindre les gens, et que l'autre jour il fit trois points de la retraite de Tréville [Note : Henri-Joseph de Peyre, comte de Tréville [1641-1708], homme d'esprit et brillant officier, se retire du monde après la mort d'Henriette d'Angleterre] ; il n'y manquait que le nom ; mais il n'en était pas besoin. Avec tout cela, on dit qu'il passe toutes les merveilles passées, et que personne n'a prêchées jusqu'ici... » (Lettre à Mme de Grignan du 25 décembre 1671).

   « ... Nous entendîmes, après-dîner, le sermon de Bourdaloue, qui frappe toujours comme un sourd, disant des vérités à bride abattue... » (Lettre à Mme de Grignan du 20 mars 1680).

* Sur La Fontaine :

   « ...Faites-vous envoyer promptement les Fables [Note : le second recueil, qui paraît en 1678 et 1679] de La Fontaine : elles sont divines. On croit d'abord en distinguer quelques-unes et à force de les relire on les trouve toutes bonnes. C'est une manière de narrer et un style à quoi l'on ne s'accoutume pas... » (Lettre à Bussy-Rabutin du 20 juillet 1679).

   « ... Il y a de certaines choses qu'on n'entend jamais, quand on ne les entend pas d'abord : on ne fait point entrer certains esprits durs et farouches dans le charme et dans la facilité des ballets de Benserade et des fables de La Fontaine ; cette porte leur est fermée, et la mienne aussi ; ils sont indignes de jamais comprendre ces sortes de beautés, et sont condamnés au malheur de les improuver et d'être improuvés aussi des gens d'esprit... » (Lettre à Bussy-Rabutin du 14 mai 1686).

* et sur beaucoup d'autres...

Au-delà du factuel  

   Il faudra attendre Proust pour que les Lettres de Mme de Sévigné soient perçues non plus seulement comme un chef-d’œuvre de l’esprit de société, mais comme exprimant la vision originale d’un monde et une victoire sur l’absence ou la mort.

A propos de Mme de Sévigné

Opinion de Saint-Simon sur Mme de Sévigné

   Saint-Simon l'apprécie, lui qui critique tant de monde... Il écrit qu'elle est « un torrent d'esprit naturel, aisé, facile, agréable et gai, [d'un esprit] qui ne se piquait de rien et qui s'ignorait soi-même (1), d'ailleurs juste, sage et plein de bonté, quand l'intérêt de sa fille lui laissait sa liberté, [de sa fille] si idolâtriquement célébrée par ces lettres [...] que tout le monde a lues avec tant d'avidité et de plaisir. » (Mémoires)

Opinion de Marmontel

   « Dans les lettres de Sévigné, l'on voit distinctement ce que l'esprit de société avait acquis de politesse, d'élégance, de mobilité, de souplesse, d'agrément pour la négligence, de finesse dans la malice, de noblesse dans la gaieté, de grâce et de décence dans son abandon même et dans toute sa liberté; on y voit les progrès rapides que le bon esprit avait fait faire au goût depuis le temps peu éloigné où Balzac et Voiture étaient les merveilles du siècle » écrivait Marmontel.

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Notes

(1) On peut en douter quelque peu...

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Date de dernière mise à jour : 06/03/2024