« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Mme de Sévigné et la mode

Lettre de Mme de Sévigné du 6 novembre 1676 sur la mode à la cour

Mode à la cour   Elle décrit d'abord à sa fille, Mme de Grignan, la mode de ce qu'elle appelle les « transparents» :

   « ... Elle [Mme de Coulanges] m'a conté les transparents : avez-vous ouï parler des transparents ? Ce sont des habits entiers des plus beaux brocarts d'or et d'azur qu'on puisse voir, et par-dessus des robes noires transparentes ou de belle dentelle d'Angleterre, ou de chenilles veloutées sur un tissu, comme ces dentelles d'hiver que vous avez vues ; cela compose un transparent, qui est un habit noir et un habit tout d'or, ou d'argent, ou de couleur, comme on le veut ; et voilà la mode. C'est avec cela qu'on fit un bal le jour de Saint-Hubert, qui dura une demi-heure ; personne n'y voulut danser. Le roi y poussa Mme d'Heudicourt à vive force. Elle obéit ; mais enfin le combat finit faute de combattants. Les beaux justaucorps en broderie destinés pour Villers-Cotterêts servent le soir aux promenades et ont servi à la Saint-Hubert. M. le Prince a mandé de Chantilly aux dames que leurs transparents seraient mille fois plus beaux si elles voulaient les mettre à cru ; je doute qu'elles fassent mieux... »

   Plus loin, elle évoque une toilette de Mme de Montespan :

« ... M. de Langlée [tailleur] a donné à Mme de Montespan une robe d'or sur or, rebrodé d'or, et par-dessus un or frisé, rebroché d'un or mêlé avec un certain or, qui fait la plus divine étoffe qui ait jamais été imaginée : ce sont les fées qui ont fait cet ouvrage en secret, âme vivante n'en avait connaissance. On la voulut donner aussi mystérieusement qu'elle avait été fabriquée. Le tailleur de Mme de Montespan lui apporta l'habit qu'elle lui avait ordonné ; il en avait fait le corps [corset] sur des mesures ridicules : voilà des cris et des gronderies, comme vous pouvez le penser. Le tailleur dit en tremblant : « Madame, comme le temps presse, voyez si cet autre habit que voilà ne pourrait point vous accommoder, faute d'autre. » On découvrit l'habit : Ah ! la belle chose ! ah ! quelle étoffe ! vient-elle du ciel ? il n'y en a point de pareille sur la terre. On essaye le corps ; il est à peindre. Le roi arrive ; le tailleur dit : « Madame, il est fait pour vous. » On comprend que c'est une galanterie ; mais qui peut l'avoir faite ? « C'est Langlée, dit le roi. - C'est Langlée assurément, dit Mme de Montespan ; personne que lui ne peut avoir imaginé une telle magnificence ; c'est Langlée, c'est Langlée » ; tout le monde répète : « C'est Langlée » ; les échos en demeurent d'accord, et disent : « C'est Langlée » ; et moi, ma fille, je vous dis, pour être à la mode : « C'est Langlée. »

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