« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Mme de La Fayette à Mme de Sévigné (lettres)

Année 1673

   Mme de Sévigné séjournant en 1673 à Grignan, chez sa fille, Mme de La Fayette la tenait informée des menus événements parisiens et de leurs connaissances communes. Papotages du Grand Siècle… Elle était franche, ou, pour dire comme La Rochefoucauld, « vraie ». 

Lettre de Mme de La Fayette à Mme de Sévigné du 27 février 1673

   « M. de Bayard et M. de La Fayette[1] arrivent dans ce moment. Cela fait, ma belle[2], que je ne vous puis dire que deux mots de votre fils[3] ; il sort d’ici et m’est venu dire adieu, et me prier de vous écrire ses raisons sur l’argent. Elles sont si bonnes que je n’ai pas besoin de vous les expliquer fort au long ; car voyez d’où vous êtes la dépense d’une campagne[4] qui ne finit point. Tout le monde est au désespoir et se ruine ; il est impossible que votre fils ne fasse pas un peu comme les autres ; et de plus la grande amitié que vous avez pour Mme de Grignan fait qu’il en faut témoigner à son frère… ».

   Mme de Sévigné adorait sa fille. En faisait-elle trop pour elle et pas assez pour son fils ? 

Lettre du 15 avril 1673

   « Mme de Northumberland vint me voir hier ; j’avais été la chercher avec Mme de Coulanges. Elle me parut une femme qui a été fort belle, mais qui n’a plus un seul trait du visage qui se soutienne, ni où il soit resté le moindre air de jeunesse ; j’en fus surprise. Elle est avec cela mal habillée, point de grâce : enfin je n’en fus point du tout éblouie. Elle ma parut entendre fort bien tout ce qu’on dit, ou pour mieux dire, ce que je dis, car j’étais seule. M. de La Rochefoucauld et Mme de Thianges qui avaient envie de la voir, ne vinrent que comme elle sortait. Montaigu m‘avait mandé qu’elle viendrait me voir ; je lui ai fort parlé d’elle ; il ne fait aucune façon d’être embarqué à son service, et paraît tout rempli d’espérance. 

   M. de Chaulnes partit hier, et le comte Tott aussi : ce dernier est très affligé de quitter la France. Je l’ai vu quasi tous les jours pendant qu’il a été ici ; nous avons traité votre chapitre plusieurs fois.

   La maréchale de Gramont s’est trouvée mal ; d’Hacqueville y a été, toujours courant lui mener un médecin ; il est en vérité un peu étendu dans ses soins.

   Adieu, mon amie ; j’ai le sang si échauffé, et j’ai tant eu de tracas ces jours passés que je n’en puis plus : je voudrais bien vous voir, pour me rafraîchir le sang. »

Lettre du 19 mai 1673

   « Je vais demain à Chantilly[5] ; c’est ce même voyage que j’avais commencé l’année passée, jusque sur le pont-neuf, où la fièvre me prit. Je ne sais pas s’il arrivera quelque chose d’aussi bizarre, qui m’empêche encore de l’exécuter. Nous y allons la même compagnie et rien de plus. Mme du Plessis était si charmée de votre lettre qu’elle me l’a envoyée ; elle est enfin partie pour sa Bretagne. J’ai donné vos lettres à Langlade, qui m’en a paru très content ; il honore toujours beaucoup Mme de Grignan. 

   Montaigu s’en va ; on dit que ses espérances sont renversées ; je crois qu’il y a quelque chose de travers dans l’esprit de la nymphe[6].

   Votre fils est amoureux comme un perdu de Mlle de Poussai ; il n’aspire qu’à être aussi transi que La Fare.  

   M. de La Rochefoucauld dit que l’ambition de Sévigné est de mourir d’un amour qu’il n’a pas ; car nous ne le tenons pas d’un amour dont on fait les fortes passions. Je suis dégoûtée de celle de La Fare ; elle est trop grande et trop esclave ; sa maîtresse ne répond pas au plus petit de ses sentiments : elle soupa chez Longueuil à une musique le soir même qu’il partit. Souper en compagnie, quand son amant part, et qu’il part pour l’armée, me paraît un crime capital ; je ne sais pas si je m’y connais. Adieu, ma belle. »

Lettre du 30 juin 1673

   « Eh bien ! Eh bien ! ma belle, qu’avez-vous à crier comme un aigle ? Je vous mande que vous attendiez à juger de moi quand vous serez ci. Qu’y-a-t-il de si terrible à ces paroles : Mes journées sont remplies ?  Il est vrai que Bayard est ici, et qu’il fait mes affaires, mais quand il a couru tout le jour pour mon service, écrirai-je ? Encore faut-il lui parler. Quand j’ai couru, moi, et que je reviens, je trouve M. de La Rochefoucauld, que je n’ai point vu de tout le jour, écrirai-je ? M. de La Rochefoucauld et Gourville sont ici ; écrirai-je ? Mais quand ils sont sortis, il est onze heures, et je sors, moi : je couche chez nos voisins, à cause qu’on bâtit devant mes fenêtres. Mais l’après-dînée ? J’ai mal à la tête. Mais le matin ? J’y ai mal encore, et je prends des bouillons d’herbes qui m’enivrent. Vous êtes en Provence, ma belle, vos heures sont libres et votre tête encore plus ; le goût d’écrire vous dure encore pour tout le monde ; il m’est passé pour tout le monde. Ne mesurez donc pas notre amitié sur l’écriture ; je vous aimerai autant en ne vous écrivant qu’une page en un mois que vous en m’en écrivant dix en huit jours. Quand je suis à Saint-Maur, je pus écrire, parce que j’ai plus de tête et plus de loisir ; mais je n’ai pas celui d’y être ; je n’y ai passé que huit jours de cette année. Paris me tue. Si vous saviez comme je ferais ma cour à des gens à qui il est très bon de la faire, d’écrire souvent toutes sortes de folies, et combien je leur en écris peu, vous jugeriez aisément que je ne fais pas tout ce que je veux là-dessus. Il y a aujourd’hui trois ans que je vis mourir Madame[7] ; je relus hier plusieurs de ses lettres ; je suis toute pleine d’elle. Adieu, ma très chère : vos défiances seules composent votre unique défaut, et la seule chose qui peut me déplaire en vous. M. de La Rochefoucauld vous écrira.

Lettre du 14 juillet

   « Voici ce que je fais depuis que je vous ai écrit ; j’ai eu deux accès de fièvre ; il y a six mois que je n’ai été purgée ; on me purge une fois, on me purge deux : le lendemain de la deuxième, je me mets à table : ah ! ah ! j’ai mal au cœur, je ne veux point de potage : mangez donc un peu de viande ; non je n’en veux point : mais vous mangerez du fruit ; je crois que oui : eh bien ! mangez-en donc ! Je ne saurais, je mangerai tantôt. Que l’on m’ait ce soir un potage et un poulet. Voici le soir un potage et un poulet ; je n’en veux point, je suis dégoûtée, je m’en vais me coucher, j’aime mieux dormir que de manger. Je me couche, je me tourne, je me retourne, je n’ai point de mal, mais je n’ai point de sommeil aussi ; j’appelle, je prends un livre, je le referme ; le jour vient, je me lève, je vais à la fenêtre ; quatre heures sonnent, cinq heures, six heures ; je me recouche, je m’endors jusqu’à sept ; je me lève à huit, je me mets à table à douze inutilement comme la veille ; je me remets dans mon lit le soir inutilement, comme l’autre nuit. Etes-vous malade ? nenni. Etes-vous faible ? nenni. Je suis dans cet état trois jours et trois nuits ; je redors présentement ; mais je ne mange encore que par machine[8], comme les chevaux, en me frottant la bouche de vinaigre : du reste je me porte bien, et je n’ai pas même si mal à la tête. Je viens d’écrire des folies à M. le Duc[9] . Si je puis, j’irai dimanche à Livry pour un jour ou deux[10]. Je suis très aise d’aimer Mme de Coulanges à cause de vous. Résolvez-vous, ma belle, de me voir soutenir toute ma vie, à la pointe de mon éloquence, que je vous aime plus encore que vous ne m’aimez ; j’en ferais convenir Corbinelli en un demi-quart d’heure ; au reste, mandez-moi bien de ses nouvelles ; tant de bonnes volontés seront-elles toujours inutiles à ce pauvre homme ? Pour moi, je crois que

c’est sn mérité qui lui porte malheur. Segrais porte aussi guignon ; Mme de Thianges est des amies de Corbinelli, Mme Scarron[11], mille personnes, et je ne lui vois plus aucune espérance de quoi que ce puisse être. On donne des pensions aux beaux esprits ; c’est un fonds abandonné à cela ; il en mérite mieux que tous ceux qui en ont ; point de nouvelles ; on ne peut rien obtenir pour lui. La Marans est une sainte ; il n’y a point de raillerie ; cela me paraît un miracle. La Bonnetot est dévote aussi ; elle a ôté son œil de verre ; elle ne met plus de rouge, ni de boucles. Mme de Monaco ne fait pas de même ; elle me vint voir l’autre jour, bien blanche : elle est favorite et engouée de cette Madame ci[12], tout comme de l’autre ; cela est bizarre. Langlade s’en va demain en Poitou, pur deux ou trois mois. M. de Marsillac[13] est ici ; il part lundi pour aller à Barèges[14] ; il e s’aide pas de son bras. Mme la comtesse du Plessis va se marier ; elle a pensé acheter Frêne. M. de La Rochefoucauld se porte très bien ; il vous fait mille et mille compliments. Voici une question entre deux maximes :

« On pardonne les infidélités ; mais on ne les oublie point.

On oublie les infidélités ; mais on ne les pardonne point. »

Adieu : je suis bien en train de jaser ; voilà ce que c’est que de ne point manger et de ne point dormir ! J’embrasse Mme de Grignan et toutes ses perfections. » 

Lettre du 4 septembre

   « Je suis à Saint-Maur ; j’ai quitté toutes affaires et tous mes amis ; j’ai mes enfants et le beau temps, cela me suffit. Je prends les eaux de Forges[15] ; je songe à ma santé ; je ne vois personne, je ne m’en soucie point du tout, toute le monde me paraît si attaché à ses plaisirs, et à des plaisirs qui dépendent entièrement des autres, que je me trouve avoir un don des fées d’être de l’humeur dont je suis. Je ne sais si Mme de Coulanges ne vous aura point mandé une conversation d’une après-dînée de chez Gourville, où étaient Mme Scarron et l’abbé Testu, sur les personnes qui ont le goût au-dessus et au-dessous de leur esprit : nous nous jetâmes dans des subtilités, où nous n’entendions plus rien ; si l’air de Provence, qui subtilise encore toutes choses, vous augmente vos visions là-dessus, vous serez dans les nues. Vous avez le goût au-dessus de votre esprit, et M. de La Rochefoucauld aussi, et moi encore, mais pas tant que vous deux. Voilà des exemples qui vous guideront. M. de Coulanges m’a dit que votre voyage était encore retardé : pourvu que vous rameniez Mme de Grignan, je n’en murmure pas, c’est une trop longue absence. Mon goût augmente à vue d’œil pour la supérieure du Calvaire, j’espère qu’elle me rendra bonne. Le cardinal de Retz est brouillé pour jamais avec moi, de m’avoir refusé la permission d’entrer chez elle. Je la vois quasi tous les jours. J’ai vu enfin son visage : il est agréable, et l’on s’aperçoit bien qu’il a été beau ; elle n’a que quarante ans, mais l’austérité de la règle l’a fort changée. Mme de Grignan a fait des merveilles d‘avoir écrit à la Marans : je n’ai pas été si sage, car je fus l’autre jour chercher Mme de Schomberg, et je ne la demandai point. Adieu, ma belle ; je souhaite votre retour avec une impatience digne de notre amitié. »

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Notes

 [1] Son second fils, le marquis de La Fayette.

[2] Elles resteront très liées toute leur vie. 

[3] Charles, le fils de Mme de Sévigné, lui cause de nombreux soucis en raison de sa prodigalité.

[4] La France est en guerre.

[5] Où se tenait la Cour.

[6] Mme de Northumberland (voir lettre précédente). 

[7] Henriette d’Angleterre, première épouse de Monsieur, frère du roi.

[8] En se forçant.

[9] Le fils du grand Condé. 

[10] Chez les Coulanges, famille de Mme de Sévigné. 

[11] Future Mme de Maintenon qui fréquente déjà le beau monde.

[12] La seconde femme de Monsieur.

[13] Le fils de La Rochefoucauld.

[14] Station thermale des Pyrénées.

[15] Forges-les-Eaux, station thermale de Normandie.

Lettre de Mme de La Fayette à Mme de Sévigné du 8 octobre 1689 : secours financier

   « … Il ne faut point que vous passiez l’hiver en Bretagne, à quelque prix que ce soit. Vous êtes vieille : les Rochers sont pleins de bois ; les catarrhes et les fluxions vous accableront ; vous vous ennuierez ; votre esprit deviendra triste et baissera ; tout cela est sûr, et les choses du monde ne sont rien en comparaison de tout ce que je vous dis. Ne me parlez point d’argent ni de dettes : je vous ferme la bouche sur tout. M. de Sévigné vous donne son équipage ; vous venez à Malicorne, vous y trouvez les chevaux et la calèche de M. de Chaulnes ; vous voilà à Paris ; vous allez descendre à l’hôtel de Chaulnes ; votre maison n’est pas prête, vous n’avez point de chevaux, c’est en attendant ; à votre loisir vous vous remettez chez vous. Venons-en au fait : vous payez une pension à M. de Sévigné, vous avez ici un ménage ; mettez le tout ensemble, cela fait de l’argent ; car votre louage de maison va toujours. Vous direz : mais je dois, et je paierai avec le temps. Comptez que vous trouverez mille écus, dont vous payez ce qui vous presse ; qu’on vous les prête sans intérêt, et que vous ne les rembourserez petit à petit, comme vous voudrez. Ne demandez point d’où ils viennent ni de qui c’est ; on ne vous le dira pas ; mais ce sont gens qui sont bien assurés qu’ils ne les perdront pas. Point de raisonnements là-dessus, point de paroles, ni de lettres perdues. Il faut venir ; tout ce que vous m’écrirez, je ne le lirai seulement pas : en un mot, ma belle, il faut venir, ou renoncer à mon amitié, à celle de M. de Chaulnes, à celle de Mme de Lavardin ; nous ne voulons pas d’une amie qui veut vieillir et mourir par sa faute ; il y a de la misère et de la pauvreté à votre conduite ; il faut venir dès qu’il fera beau... »

    Dans cette lettre de Mme de La Fayette, on voit bien que la solitude de Mme de Sévigné aux Rochers est le produit de la nécessité et non signe de faveur ou d’élection, ce qui pouvait être le cas dans d’autres circonstances. Par ailleurs, il faut noter que la richesse des nobles était constituée de terres inaliénables puisqu’ils devaient les transmettre intactes à leur principal héritier, d’où leur difficulté à trouver de l’argent liquide.

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Date de dernière mise à jour : 14/10/2017